I
Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.
Nous marchions sans parler, dans l’humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. — Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs ; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament ;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d’en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s’étaient mis en quête
A regardé le sable en s’y couchant ; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’ils voyaient,
J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse ;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu’à deux pas, ne dormant qu’à demi,
Se couche dans ses murs l’homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu’adoraient lesRomains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s’assied, les deux jambes dressées
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante
Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu qui traversaient sa chair
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu’au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang ;
Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.
II
J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve
Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l’homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.
Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’Hommes,
Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C’est vous qui le savez, sublimes animaux !
A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
– Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au coeur !
Il disait : » Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »
Alfred de Vigny, Les Destinées
Gérard, Philippe nous en fait une lecture magnifique
https://youtu.be/an4_fPZmhws
Magnifique poème. Le loup qui meurt en silence pour ne pas affoler ses petits ainsi que sa compagne. Confiante. Plein de dignité et de souffrance mêlées. Le loup fier et droit. Qui nous fait penser que l’homme tue pour le plaisir. Alors que lui tue pour se nourrir et nourrir les siens. Où est la beauté du geste. Dans celle de l homme ou celle du loup ? Celle du loup s’est certainement la plus belle. Mais celle de l’homme qui realise l’horreur de cette mort. Nous leur avons pris tant de forêts. Et de bois touffu. Ils nous laissent avec dans le regard perçant et doux à la foi. Un étrange malaise …celui de donner la mort. Pour rien. Pour un instant bref de gloire. qui s’evanouiras. Dans le temps.
Magnifique poème qui montre justement ce qui sépare l’homme de l’animal. Gémir, pleurer, prier ce n’est pas lâche, c’est un moyen de diminuer la douleur de montrer notre fragilité, notre besoin de soutien. Pleurer fait du bien diraient aujourd’hui les psys.
Que les récitants sont mauvais, dans l’enflure ou le manque de naturel ! Une façon de lire la poésie, Cierge Regiani n’a pu m’en convaincre. À l’école, en 1950, on privilégiait le par cœur le plus ânonnant. Et pourtant je me récite souvent la mort du loup avec délectation… Des bouts entiers ressortent pleins de vie g’heure ! Quelle ironie pour « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse. » !
Pour Perplex
Il n’y a effectivement que deux louveteaux, mais sous la lune , ce sont 4 ombres qui jouent en silence au milieu des bruyères.
Amusant et drôle… dit Jado Le Slameur !
Un petit pois dans la cervelle ?
Plus je connais les hommes, plus j’aime mon chien.
La beauté et la précision de cette sublime écriture sont restées gravées dans ma mémoire dès l’enfance, comme un cadeau précieux que j’ai transposé plus tard, avec mon imaginaire d’enfant dans l’histoire épique et onirique, de l’appel de la forêt. Je dois cette découverte marquante à un être Cher. Et si ce poème merveilleux, m’a profondément bouleversé, il s’est inscrit dans mon histoire, comme un modèle précis, une référence parfaite, sur la nature insondable de l’homme et son ignorance, son incapacité malheureuse.. à reconnaître et apprécier à sa juste valeur, le conscience et l’humanité des animaux. C’est aussi et sûrement, grâce à cet être généreux, mon oncle adoré, qui m’a fait découvrir et aimer ce texte puissant et parce qu’il m’a emporté dans cette histoire tragique avec une compassion et une ferveur peu commune et cela malgré sa puissance dramatique. Et grâce à lui l’œuvre a laissée son empreinte et sur mon coeur et mon âme… une trace magnifique.
Et malgré l’innocence de mon jeune âge, je découvrais un texte puissant et dans sa symbolique et dans la force de narration.. et à la lecture passionnée et d’une gravité émouvante, par sa générosité et son humanité, mon oncle m’offrait une compréhension au monde.. bien trop grande pour moi alors.
Sa lecture avait transcendé ma propre vision et ma compréhension fragile et partielle des événements de cette histoire tragique, éprouvée dans sa force symbolique par la puissance du libre arbitre, et m’avait apprise, malgré la nature sauvage du loup, la beauté et la grandeur d’une âme.., plus humaine, plus courageuse et plus élevée que celle de l’homme lui même.
Cela m’avait marqué sensiblement.
La profondeur de ce poème, comme un conte initiatique a été longtemps une référence pour moi et ce souvenir particulier renforcé, parce que résolument attaché à une personne que j’adorais,
Ce conte redécouvert plus tard.. m’a touché différemment. Il m’a traversé par des allers retours sur ma pensée en construction, comme une passerelle fragile s’étirant sur les limites de ma conscience, exacerbant le sentiment persistant d’irréversibilité. J’ai puisé à l’encre de cette force narrative et son incomparable attrait… et la beauté du loup s’est imposée et dans sa conversion symbolique et son mystère, comme un parallèle évident sur nos vies et nos secrets. Et L’inconditionnelle liberté du loup et sa nature sauvage ont inspiré le plus beau des messages : la liberté est la force de vie et l’essence de la vie elle même.
Ce poème encore aujourd’hui a laissé son empreinte sur mon coeur et mon âme. Et l’histoire du loup, au travers de cette tragique et ce courage héroïque à dessiné dans une écriture intérieure.. de merveilleux tableaux.
Comme beaucoup j’ai lu et appris ce poème dans ma jeunesse. Je le connais par cœur.
Je l’ai intégré dans un recueil où j’ai rassemblé mes poèmes préférés, recueil dont j’ai donné un exemplaire, parfois modifié, en raison de leur âge, à chacun de mes petits enfants.
Sa charge émotionnelle est si forte qu’on peut le lire et relire sans remarquer quelques erreurs étonnantes que Alfred de Vigny , écrivant rapidement sous le coup de l’émotion (mort de sa mère et rupture avec Marie d’Orval ) à laissé passer.
Quitte à en faire hurler certains, j’ai imaginé ce qu’il aurait pu écrire pour les éviter.
« Nous marchions sans parler dans l’humide gazon
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes »
Bruyère et brandes (on dit brandes de bruyère) désignent le même végétal au milieu duquel il est peu probable de trouver du gazon qui, par contre, peut parsemer les chemins ou les sentiers des bois peu fréquentés. Il aurait pu écrire :
« Nous marchions sans parler dans l’humide gazon
D’un sentier resserré bordé de hautes brandes »
« Lorsque sous des sapins pareils à ceux des Landes »
Il n’y a pas de sapins dans les Landes, seulement des pins.
« Lorsque sous des pins droits pareils à ceux des Landes »
« De deux grands loups- cervier et de leurs louveteaux »
Les loups-cervier sont des lynx et non des loups.
« D’un couple de loups gris et de leurs louveteaux »
« Et je vois au-delà quatre formes légères »
Ces formes désignent quatre louveteaux. Quelques vers plus loin ils ne sont que deux : « Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuve »
« Et je vois au-delà deux silhouettes légères »
« Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde
Le clouant au gazon tout baigné de son sang »
Comment le loup cloué au gazon peut-il, quelques vers plus loin, se recoucher : « Il nous regarde encore, ensuite il se recouche »
« Les couteaux lui restaient au flanc jusqu’à la garde
faisant couler au sol de longs filets de sang »
Habitant près du Maine Giraud où Vigny a vécu, j’y emmène des amis de passage, et par un étroit escalier, les accompagne jusqu’au réduit où il écrivait, ressentant toujours la même émotion.
C’est bien la version originale qui figure dans le recueil remis à mes petits enfants.
Magnifiques, sublimes vers, si intenses… C’est un poème que j’aime profondément. Je pleure toujours. Je suis très proche de Vigny.
Après l’avoir lu à mes enfants de nombreuses fois, je viens de lire ce poeme à mon époux qui ne le connaissait pas… ou l’avait oublié… C’est la première fois que je ne pleure pas en arrivant à la fin… Tout au long de la lecture j’ai craint de ne pas réussir… C’est un poème magnifique… d’une intensité qui emporte.
A chaque fois que la vie me bouscule, ce texte magnifique me vient en aide. Je l’ai appris à 13 ans en écoutant Gérard Philippe le dire avec une fougue poignante. Il me valut un premier prix de récitation en classe de troisième avec Monsieur Benoit. A 73 ans, je le connais toujours par cœur. Ce fut une leçon de vie que je conseille à tous les jeunes en quête de vérité.
Comme j’ai beaucoup aimé ce poème des Destinées, j’ai le plaisir de livrer sur ce site qui honore la poésie, les commentaires suivants qu’il m’a inspirés.
Même si la chasse et la nature sont mises en scène et théâtralisées avec talent et magnifiquement évoquées, l’intention de l’auteur, très préoccupé par les problèmes existentiels, est avant tout moralisatrice plus que descriptive. Il idéalise l’attitude brave et stoïque du loup surpris par les chasseurs pour en faire une représentation de ce que devrait être le comportement humain face à la difficulté, au danger et à la mort. Ceci dit, on ne peut s’empêcher d’être admiratif de la façon dont il traite cette idée qui consiste à regarder les difficultés en face au lieu de les fuir, idée qui est l’un des axes de sa réflexion philosophique à travers sa poésie.
Le poème commence par une mise en place du décor qui se veut sinistre et inquiétant. Nous sommes à la tombée du soir, le rouge et le noir de l’atmosphère, couleurs romantiques par excellence, prennent ici une expression tragique.
C’est dans un silence tendu que les chasseurs traquent les loups. En forçant peut-être un peu le trait, Vigny qui fait partie de la troupe, les montre prenant toutes les précautions pour ne pas être repérés par les loups. Le lourd silence est bien rendu et l’on pourrait dire que, dans ce but, les traqueurs marchent eux-mêmes « à pas de loup », mais Vigny écrit plus sobrement « a pas suspendu ». Ces pas suspendus sont dans la forme du texte, suggérés par des enjambements de vers :
« Et le pas suspendu — ni le bois, ni la plaine (premier enjambement)
Ne poussaient un soupir dans les airs ;– Seulement (deuxième enjambement)
la girouette… ».
En effet le seul bruit qui fait ressortir le silence est celui d’une girouette agitée par « les pieds du vent » en haut d’une tour. Et cette girouette est « en deuil », comme si la mort du loup était déjà annoncée par ce grincement métallique de la rose des vents. Il y a comme une sorte de connivence entre l’état de la nature, les rochers, les arbres, les tours et le drame qui se noue.
Dans les vers qui suivent, comme souvent dans ses poèmes, Vigny se montre un remarquable peintre de la nature, je pense par exemple au poème intitulé « Le cor » dans lequel il décrit la nature pyrénéenne avec une grande précision et sensibilité.
Dans ce silence complice, les chasseurs semblent mettre en jeu tout leur savoir-faire de pisteurs comme l’interprétation des traces du passage des loups. Le plus expérimenté d’entre eux en déduit que ce sont celles de « deux grands loups-cerviers » et de deux louveteaux. Les loups-cerviers n’étant pas ici des lynx, bien qu’on appelle aussi ces derniers loups-cerviers, c’est le nom donné aux gros loups capables d’attaquer des cerfs. C’est la même racine que le mot cervidés qui désigne certains animaux tels que cerfs, chevreuils, rennes, élans, daims, etc.
Le suspense bien entretenu prend fin lorsque les loups sont surpris. Mais la découverte soudaine du groupe de loups produit en retour, chez le poète-chasseur, également un effet de surprise. Il introduit à cette occasion un sous-thème qui est celui du regard du loup. D’abord les yeux du loup « flamboient ». C’est presque hallucinatoire. Et là il y a un déclic, quelque chose se produit dans la conscience du poète-philosophe. Devant cette scène animalière il est saisi par un sentiment qui est loin d’être celui de la satisfaction du chasseur ciblant une proie, bien au contraire, il se produit en lui un revirement, il ne perçoit plus ces animaux de si mauvaise réputation comme dès bêtes dangereuses mais comme des êtres vivant de plein droit dans leur milieu naturel et que l’on vient attaquer dans leur propre habitat.
Les jeux des louveteaux qu’il compare à une danse familière, ajoutent à ce sentiment d’ingénuité. Mais en même temps, il relève chez eux une certaine méfiance, ils jouent, « en silence » car ils sont instinctivement conscients de l’existence de l’homme, qu’ils perçoivent déjà comme leur adversaire le plus redoutable. Peut-être s’agit-il là d’une projection du pessimisme d’Alfred de Vigny quant à l’idée qu’il se fait des rapports de l’homme avec l’animal et avec la nature en général. Qui est le plus grand prédateur, le plus destructeur des deux ? Pour Vigny la réponse est complexe mais on devine où va son parti dans ce poème.
Vigny donne à la scène qui présente le père loup dressé sur ses pattes avant, alors que toutes les issues semblent bouchées pour lui, quelque chose de majestueux, de solennel, car l’animal n’est plus montré comme ce monstre féroce que la tradition entretient mais comme un être fier et courageux. D’ailleurs il écrit Loup avec une majuscule : » Le Loup vient et s’assied… ». Quant à la louve, elle prend un caractère mythique par référence à la louve romaine censée avoir nourri de son lait les fondateurs de Rome. (Il faut rappeler au passage que ce mythe est renforcé par le fait que des enfants loups, adoptés et nourris par une louve, ont vraiment existé, ce qui ajoute un bémol aux préjugés que l’on peut avoir à propos du loup dont l’histoire a suscité beaucoup de légendes et de fantasmes.. )
Le dernier acte du loup qui égorge un chien de la meute est un geste désespéré, c’est comme un baroud d’honneur et les vers qui expriment cet acte ont quelque chose d’hugolien : « Alors il a saisi dans sa gueule brûlante… Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer ».
La scène de mise à mort du loup par des chasseurs armés est particulièrement poignante. Vigny fait une inversion de la cruauté. Ce caractère traditionnellement attribué au loup qui, dans sa recherche de nourriture, peut égorger, au grand dam des bergers, plusieurs brebis en une seule nuit, est ici reporté sur les chasseurs qui apparaissent comme des êtres sanguinaires s’acharnant sur l’animal cerné : « Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant ».
Enfin le regard du loup qui agonise revient comme une hantise : » il nous regarde… Il nous regarde encore… ». Et ce regard sera repris plus loin dans la conclusion du poème : « Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur ! » car les yeux du loup transmettent un message au poète acteur et témoin de la scène.
Enfin le loup meurt « sans jeter un cri ». Cette dernière notation va tout à fait dans le sens de l’allégorie, celle de l’être capable de faire face au danger, de supporter la souffrance et finalement, quand il n’a pas d’autre choix, de mourir avec une grande dignité.
Après l’évocation du drame dans la première partie du poème, la deuxième partie développe toute une réflexion. Cette chasse éprouvante a déclenché une prise de conscience. Vigny humanise alors ces animaux en parlant même de « fils » plutôt que de « petits » à propos des louveteaux devenus orphelins et en écrivant cette fois-ci « Louve » aussi avec une majuscule.. De plus il qualifie la femelle du loup de » belle et sombre veuve » comme s’il s’agissait d’une personne qui vient de perdre son conjoint. C’est aussi l’image de la mère nourricière, protectrice mais aussi éducatrice qui apprend à ses enfants à survivre malgré la dure loi de la vie dans la forêt.
Cette prise de conscience de l’inanité de la traque et de la mise à mort du loup, entraîne un véritable réquisitoire contre une certaine vie civilisée, urbaine, domestique qui se développe au détriment de la nature. Cela est résumé dans l’expression « le pacte des villes ». On a là une problématique traditionnelle entre civilisation et nature et les oppositions entre une certaine liberté sauvage, avec ses dangers, ses exigences, ses avantages et ses satisfactions et, d’un autre côté, une vie civilisée, urbanisée, avec aussi ses avantages, son relatif confort, sa sécurité mais également sa perte de liberté et l’affaiblissement de certaines qualités physiques et morales que la vie naturelle favoriserait. Au cours du temps cette confrontation reçoit des interprétations diverses, comme aujourd’hui l’opposition entre d’un coté une vision écologique de la vie et de l’évolution humaine et de l’autre une conception plus technologique du progrès qui ne se fait pas toujours à l’avantage de notre environnement vital.
Mais pour Vigny, cela va plus loin qu’un simple constat d’opposition. Dans le dernier paragraphe il interpelle ses semblables d’une façon très véhémente : « Malgré ce grand nom d’Hommes » et la majuscule ici n’est plus louangeuse mais ironique, voire sarcastique, envers une humanité pas toujours très consciente de ses orientations plus ou moins aberrantes. D’ailleurs aux vers suivants il les qualifie de « débiles », ces hommes qui, oublieux de leur condition si précaire et surtout mortelle, tournent le dos à la vraie vie telle que Vigny la conçoit : stoïque, combative, indépendante, courageuse mais quand même un peu désespérée comme on le constate dans d’autres textes de lui.
Puis c’est le retour du regard du loup qui l’a fortement impressionné dès qu’il l’a perçu car ce regard est en fait une communication muette de la plus grande importance, une vraie leçon de vie. Cette relation intime avec tous les éléments de la nature, qu’ils soient animés ou non, est aussi un caractère constant du poète romantique qui écoute les voix secrètes de la nature, le ciel, la mer, les rochers, les arbres, les animaux, tout lui parle mais la plupart des humains n’entendent pas pareil message et persistent dans leurs erreurs. Ceci est en parfaite résonance avec l’affirmation de Victor Hugo qui écrit dans ses Carnets de 1970 : « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas ».
Or quel est ici la leçon du loup transmise par son regard édifiant? C’est que rien ne sert de « gémir, pleurer, prier… ». L’homme, à l’exemple du loup vaillant devant la souffrance et la mort qui lui sont infligées, doit être capable d’une certaine grandeur à la fois devant les contraintes et les difficultés de l’existence. Ce que Vigny, auteur du recueil « Les Destinées » appelle ici « Le Sort », renvoie aux événements inéluctables car, si combatif que l’on soit on rencontre toujours des limites impossibles à dépasser ou des difficultés que l’on ne peut toujours résoudre et qu’il faut donc accepter courageusement. Ce qui, à la différence des êtres trop embourgeoisés qui ne peuvent plus supporter la moindre gêne et qui n’ont pas appris à faire face aux complications de la vie, implique un apprentissage face à l’adversité quand elle est imparable.
C’est en ceci que réside le véritable stoïcisme dont Alfred de Vigny se réclame dans ce poème et qui ne consiste pas à rechercher la souffrance ou la difficulté pour elles-mêmes, mais à savoir, quand on ne peut faire autrement, y faire face au lieu de se plaindre, de gémir et d’être tout le temps dans les alarmes lorsque les choses ne vont pas selon nos désirs et nos volontés.
On pourrait cependant reprocher à Alfred de Vigny son goût du retrait et de la solitude hautaine, attitude de celui qui ne veut pas se laisser aller à la médiocrité ambiante, comme cela est exprimé ailleurs dans « La maison du berger » par exemple, mais nul n’est à l’abri de contradictions… Tel est, me semble-t-il, l’enseignement que l’on peut retenir de ce magnifique poème qui, en dehors de son intention moralisatrice, demeure un vrai chef d’œuvre littéraire, de ceux qu’on a toujours plaisir à relire.
Alfred de Vigny n’en reviendrait pas : un éminent généticien français au soir de sa vie signe ses écrits du pseudo Axel le loup !
Je m’abstiendrais de toute interprétation psychanalytique sur le choix de sa nouvelle signature car d’une part je ne suis pas spécialiste de cette matière et d’autre part j’ai trop d’empathie pour les Humains, qui plus est, pour cet homme à terre qui attend résolument sa fin.
Et puisqu’Axel le loup a choisi ce sublime poème, que ses vers l’accompagnent tout au long de son dernier voyage en espérant que celui-ci sera le plus court possible et le moins mouvementé qui soit.
Depuis mon plus jeune age j’avais eu un respect teinté de crainte pour le loup. Ce poème d’Alfred de Vigny m’est toujours revenu en mémoire et j’en ressens encore un sentiment de puissance et de calme (image du loup).
A vrai dire le poème d’Alfred est un chef d’œuvre par excellence : il s’agit là d’une peinture extrême d’un état d’âme d’une personne souffrante et déprimée en silence.
Trop droit, trop touchant, trop beau….. “Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse”. Comment est-ce que les chasseurs, éduqué par ce poème, peuvent être si lâche face a la nature et aux animaux aujourd’hui.
Ce qui serait équitable et juste de savoir les animaux aussi armés pour se défendre des chasseurs.
De meme pour les soldats et policiers. Désarmez vous; nous ne sommes pas armés.
Citation d’Einstein: « Tous ceux qui marchent au son des tambours et des trompettes sont pour moi d’emblée un objet de mépris. Leur cerveau leur a été donné par mégarde; seul le cervolet aurait amplement suffit. »
De Vigny parle de loup cervier. Or, le loup cervier est un autre nom du lynx… Qu’en est-il exactement ?
La vie est faite pour être vécue, pas pour être supporté. Je ne pourrais accepter le stoïcisme de Vigny.
Je viens d’une famille de militaire, et je pense que « La mort du Loup » d’Alfred de Vigny traduit bien comment un homme doit se comporter, en tout temps, face à l’adversité : Tomber en se battant, et ne jamais concéder un pouce de terrain à l’adversaire…
@ Françoise dapples: un peu de recherche vous apprendra que « gazon » en nature désigne autre chose que l’œuvre artificielle du jardinier, lequel ne cherche en ce registre qu’à imiter les tapis extraordinaires, unis, doux et tendres que la nature sait produire sans nos mains, dans les bois comme près des cimes, voire au creux des causses quasiment désertiques… rien d’impropre à ce mot dont seule l’acceptation moderne implique l’artificialité.
Apparemment Vigny avait écrit ce poème suite à la mort de sa mère, je n’aurais jamais deviné la métaphore. Personnellement la 1ère fois que l’ai lu, je ne pensai pas qu’il pourrait décrire la mort d’un loup, malgré le titre, je m’attendait a une sorte de fable vu celui-ci, mais j’ai été happé par le début et cette impression était bien renforcé par le fait qu’ils sortent les armes, mes yeux suivaient le texte mais mon cerveau disait que c’était impossible d’en arriver à là, et pourtant…
Un vrai « Dracula » des bois, ce que j’ai adoré c’est cet instant de silence : « Nos fusils l’entouraient en sinistre croissant. » il faut quand même l’avoir vécu pour sortir ça.
Gemir, pleurer, prier… je m’en suis toujours souvenu, souvenirs de Mme Bailly ma prof de français en 1969, 1970, de Viry Chatillon du CES Esclangon.
Ce poème fut celui qui marqua à jamais mon enfance ; mon frère – de deux ans mon aîné – revint un jour de l’école et le déclama pour moi. Nous avons tous deux ressenti intensément la noblesse du loup, sa dignité face à l’homme barbare et lâche ! Notre désespoir fut grand. Aujourd’hui encore, devenue grand-mère, mon cœur se serre toujours en l’évoquant. Merci à ce poète capable d’exprimer aussi magnifiquement le destin tragique du loup pourchassé par l’homme stupide ! Rien n’a encore changé aujourd’hui… chasse à courre, corrida, …. mais les consciences se réveillent !
J’ai appris ce poème lorsque j’étais écolier en qualité d’indigène durant les années 60 poste indépendance de l’Algérie. Je suis toujours fasciné par sa teneur. Grand merci au poète.
Beau poème amusant et drôle
Les hommes sont des sauvages et le loup est un sage. Ce poème est bien amené jusqu’à cette conclusion. Cependant, ce qui me dérange en relecture c’est le mot gazon, répété deux fois, mot qui ne colle vraiment pas avec l’environnement du loup. Dommage. Selon ce qui précède, je vous pose cette question : pourrait-on remplace le mot gazon par un autre mot de deux syllabes et se terminant par « on » ?
J’ai appris enfant ce poème en récitation comme disait nos maîtres d’alors de l’école publique laïque française !
« Les nuages courraient sur la lune enflammée…
Leurs formes étaient semblables et semblables la danse…
Il s’est jugé perdu, puisqu’il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;…
Plus tard adulte j’ai été interpellé :
« J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre…
A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse
Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse… »
Merci Monsieur De Vigny…
Malheureusement nos enseignants d’aujourd’hui ne font plus apprendre cela aux enfants…
Comme cet Alfred est grand comme d’autres poètes tels que La Fontaine, Hugo, et d’autres. Il utilisé ici le loup pour nous montrer que chacun de nous à un degrès de courage.
Quelle poème magnifique
C’est magnifique
Quel enseignement pour le genre humain !
Quelle belle leçon d’Humanisme! Un chef-d’oeuvre tout en lui même s’adressant à l’Homme. Je fredonne le dernier paragraphe depuis ma tendre jeunesse de la Terminale jusqu’aux oreilles attentives de mes grands enfants aujourd’hui. Simplement M A G I Q U E.
Superbe! Émouvant et je m’avais oublié Merci
C’est un peu un theme repris dans une chanson de Charles Aznavour « ce que l’Homme fait a l’Homme aux mepris de toutes lois ce que l’Homme fait a l’Homme l’Animal ne le fait pas etc ».
En lisant ce poème, des larmes amères coulent lentement sur mes joues.
Pure Et Si simple que les larmes coulent sur mes joues brave et noble bête que le loup fier et humble c est déchirant de faire la constatation de la fin de toutes les merveilleuses créatures sur la planète Et la biensur Je nous exclus … nous les hommes.
Magnifique ! C’est dans la foret de La Braconne prés d’Angouleme que ce poeme a été écris.
Ce magnifique poême démontre,si besoin en était, l’animalité de l’homme et l’humanité de l’animal.
Stoicisme du loup devant la mort. Parallèle avec la mort de l’aigle de Heredia èblouissante et brève. Deux poèmes marquants.
Ce poème m’a toujours bouleversé. C’est en le lisant que j’ai compris la relation stupide de l’homme vis à vis de l’animal. Sublime.
Magnifique. Ami loup blanc que j’ai vu au zoo de Vincennes tournant sans cesse autour de ta cage je t’ai plaint.
Gros coup de cœur. Ce poème est juste magnifique.
Mon père nous disait ce poème, enfants… Je m’en souviens comme si c’était hier… Quelle émotion ! Du coup, plus tard, je l’ai appris par cœur, et j’ai même eu l’occasion de le dire devant un public.
C’est un magnifique poème ! Poème qui m’habitera longtemps… Poème qui émeut… Qui fait réfléchir sur les relations hommes & animaux…poème immense et plein de vérité sur la Vie…
MAGNIFIQUE ….
Simplement sublime.
Magnifique poeme sur l’intelligence et la sagesse du loup par rapport à la brutalité de l’homme ne chassant que par plaisir et non par besoin.