Poetica, des poèmes d’avenir, du présent, du passé...


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Sélection : poèmes à la une

Étreinte

Michel Ménaché
Mylène Besson, Étreinte, 2023
Mylène Besson, Étreinte, 2023. Estampe édition limitée disponible dans notre Galerie d’Art

ascension radieuse
lianes de soie
lovées en chrysalide
frémissements d’ailes
sous la peau
la grâce et l’ivresse
aux convections ardentes
de poussières d’étoiles
caresses d’années lumière

Michel Ménaché, 2023

Sélection : poèmes à la une

Langueur

Susy Desrosiers

j’ai épuisé ma plume
jusqu’au bout de moi
jusqu’à plus rien

la gorge pleine de roches
ma voix s’étrangle
mes mains deviennent muettes

je m’égare dans mes silences

***

j’erre dans des ailleurs
habite des espaces
qui ne m’appartiennent pas

j’incarne des chairs inconnues
respire une autre vie
me perds dans de nouveaux visages

je meurs une fois de plus

Susy Desrosiers

Sélection : poèmes à la une

Delon

Kamal Zerdoumi

Il ne t’aura pas suffi d’être beau
pour émouvoir le tombeau
ni d’être impeccable dans « Monsieur Klein »
pour attendrir le destin
La Mort est cette garce
qui emporte qui elle veut
quand bon lui semble
Toi, las de ce monde, terrible farce
tu es parti,
sans que ton âme ne tremble
ni ne prenne feu
Tu es allé rejoindre tes chers disparus
Désincarné, tu réalises enfin ce rêve
de voir tes parents réunis
Faut-il donc que l’on crève
pour cesser d’être punis ?
Il ne t’aura pas suffi d’être beau
pour guérir d’être mortel
Tu reposes
en un lieu où n’a plus cours le Réel
où capitule ce qui est faux

Kamal Zerdoumi, août 2024

Sélection : poèmes à la une

Vogue

Nadia Ben Slima

Au loin …la mer du nord

Adossée au littoral
la foule défile dans un flot bruyant,
entre remous et repos.

Sous le soleil
renaissent les sourires.
Sur la digue,
se brisent les souvenirs,
rêves apaisants
bercés par l’écume vibrante.

Chahuté par le vent,
Le temps n’est plus alors rien
Figé en une saison
dont le sable est le témoin.

Nadia Ben Slima, 2016

Sélection : poèmes à la une

Un soir d’été

Guillaume Apollinaire

Le Rhin
Qui coule
Un train
Qui roule

Des nixes blanches
Sont en prière
Dans la bruyère

Toutes les filles
À la fontaine
J’ai tant de peine

J’ai tant d’amour
Dit la plus belle
Qu’il soit fidèle

Et moi je l’aime
Dit sa marraine
J’ai la migraine

À la fontaine
J’ai tant de haine

Guillaume Apollinaire

Sélection : poèmes à la une

Equilibre fuyant

Jules Delavigne

J’avance lentement
Sous un soleil écrasant
Mes pieds, plus lourds à chaque pas,
S’enfoncent inlassablement
Dans le sable liquide.

Et je ne vois que des champs couverts de neige
Que des dimanches matins heureux
Dans mes montagnes fraiches et splendides.

La vielle dame m’avait dit un jour
Que le bonheur est dans le mouvement
Dans la fluidité entre deux étapes, deux états
Et nulle part ailleurs.

Devant moi, toujours, mon enfance
L’air chargé de sel, porté par le vent
Ces milliers d’étincelles dans l’eau
Ces milliers de pensées insaisissables
Et le son des galets brassés par les vagues
Qui me bercera jusqu’à l’infini.

Jules Delavigne, Conclusions, 2008

Sélection : poèmes à la une

Rythme des vagues

François Coppée

J’étais assis devant la mer sur le galet.
Sous un ciel clair, les flots d’un azur violet,
Après s’être gonflés en accourant du large,
Comme un homme accablé d’un fardeau s’en décharge,
Se brisaient devant moi, rythmés et successifs.
J’observais ces paquets de mer lourds et massifs
Qui marquaient d’un hourra leurs chutes régulières
Et puis se retiraient en râlant sur les pierres.
Et ce bruit m’enivrait; et, pour écouter mieux,
Je me voilai la face et je fermai les yeux.
Alors, en entendant les lames sur la grève
Bouillonner et courir, et toujours, et sans trêve
S’écrouler en faisant ce fracas cadencé,
Moi, l’humble observateur du rythme, j’ai pensé
Qu’il doit être en effet une chose sacrée,
Puisque Celui qui sait, qui commande et qui crée,

N’a tiré du néant ces moyens musicaux,
Ces falaises aux rocs creusés pour les échos,
Ces sonores cailloux, ces stridents coquillages
Incessamment heurtés et roulés sur les plages
Par la vague, pendant tant de milliers d’hivers,
Que pour que l’Océan nous récitât des vers.

François Coppée, Le Cahier Rouge

Sélection : poèmes à la une

Chaleur estivale

Sybille Rembard

Sur la plage le parasol fermé pointe au firmament
Ma langue savoure les grains de sel sur mes lèvres moites
Mes pieds s’enfoncent dans le sable chaud
Le sommeil me guette
Le rêve m’attend
Le soleil grandit l’éternité de mes pensées.
Je répète jusqu’à l’hallucination les vers que tu as écrits pour moi,
une nuit à côté des étoiles.
Sous l’astre de l’été
je revis notre amour : colonne ivre du temple de l’éternité
Les saisons se succèdent
Et moi
je crois encore aux feux d’artifices.

Sybille Rembard, Beauté fractionnée, 2002

Sélection : poèmes à la une

Marine

Paul Verlaine

L’Océan sonore
Palpite sous l’oeil
De la lune en deuil
Et palpite encore,

Tandis qu’un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D’un long zigzag clair,

Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs
Va, vient, luit et clame,

Et qu’au firmament,
Où l’ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens

Sélection : poèmes à la une

Canicule

Claude Luezior

plus loin, dans la pénombre
des bavardages enfiévrés

toutes eaux perdues
une grenouille radote sa prière

une pie, deux fées translucides
s’inclinent avec cérémonie

aux galets d’un purgatoire
où gisent des soleils calcinés

déjà s’inscrivent sur des feuilles
les mémoires d’une canicule

et pleurent sans larmes
des saules à l’abandon

en cohortes basculent des présages
au seuil de puits asséchés

sous des murailles incandescentes
se consument les broussailles

une torchère traîne au Golgotha
des lambeaux d’horizon

autodafé où se bousculent
siroccos et brasiers indécis

en vain se dilatent des nuages
enceints de grêle et d’éclairs

tandis qu’étincellent en silence
les enluminures des grappes

se gorgent d’alcool et de sucs
des guêpes aux indécentes ripailles

sacristie où l’on prépare
du sang, l’éloquent sacrifice

dans nos chairs, l’été en gésine
paraphe ses ultimes frénésies

Claude Luezior