L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.
Arthur Rimbaud, 1871
L’étoile a pleuré rose au cœur de tes oreilles,
L’infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain.
Arthur Rimbaud, 1871
Pour compléter et préciser l’analyse précédente, je dirais que ce « blason » amoureux du corps de la Femme dessinée sous les traits de Vénus (à laquelle Rimbaud vouait un culte clairement déclaré dans « Credo in unam » et dont l’évocation est trahie ici par le troisième vers : « La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles », où l’on voit la déesse sortir de l’eau ornée des deux « perles » que sont ses tétons « roux » couronnant ses « mamelles en vermeil ») est une réhabilitation de Vénus, un anti-« Venus Anadyomène » en quelque sorte…
On pourrait aussi y lire l’écriture d’une cosmogonie païenne, conforme au Credo rimbaldien, où la Femme n’est plus arrachée à la côte d’Adam, mais au contraire où l’Homme est extrait « sanguinolent » du « flanc noir souverain » de la Femme (« Et l’Homme saigné noir à ton flanc souverain »), comme le fruit de la Hiérogamie céleste décrite dans les vers précédents : une anti-Genèse…
Le flanc de la Femme est alors bien « souverain », au sens de « suzerain », et l’Homme en devient le « vassal » dans une vision qui n’a rien de « féministe » (i.e. de politique), mais qui est celle d’un adepte enthousiaste du culte de la Déesse mère, la grande Cybèle, elle-même placée sous l’empire absolue de Vénus c’est-à-dire de l’Amour dont Rimbaud avait une Soif que l’on peut qualifier d’ontologique…
A AthanaÏs : «Qui vous dit qu’il parle d’une femme ? », interrogez-vous…
S’il ne s’agit « d’une femme », l’on peut affirmer du moins qu’il s’agit ici « d’un principe féminin » (« la Femme », avec F majuscule, comme il est question de « l’Homme » avec H majuscule en fin de poème) pour les raisons suivantes :
– « les mammes vermeilles » : si les mots veulent dire quelque chose -et ils le disent en poésie surtout chez un Maître éminent latiniste (et helléniste) comme le fut Rimbaud dès 14 ans-, « mammes », qui est de la même racine que « mamelle » (« mamilla » en latin, lui-même diminutif de « mamma » qui peut signifier (rarement) « maman ») et donne l’idée d’un certain « volume » lié à la profusion, à la fécondité (sans rentrer dans les détails), ne peut évoquer l’inféconde et sèche poitrine masculine ;
– le « flanc souverain », là aussi évoque la fécondité et la plénitude du flanc qui engendre, de la « matrice », ce qui ne peut se rapporter à la stérilité et à la platitude du flanc masculin.
Au-delà de cette première approche lexicale et philologique (déterminante néanmoins), ce poème de 1871 recopié sur la même feuille que « Voyelles » ne peut être compris si on ne le rapproche pas de celui, bien antérieur, intitulé «Soleil et chair » (daté du 29 avril 1870) dont je vous conseille vivement la lecture, où l’adolescent Rimbaud (qui a eu 15 ans le 20 octobre 1869) confesse sa foi toute païenne en Vénus (à l’origine le poème s’intitulait d’ailleurs : « Credo in unam ») : hymne à l’amour universel chez Rimbaud, on y retrouve de nombreuses expressions et tournures qui éclairent « L’Etoile a pleuré rose » (je ne peux hélas les développer ici car il me faudrait plusieurs pages).
Si l’on recoupe maintenant les différents champs lexicaux de « L’Etoile a pleuré» on retrouve ceux :
– du corps féminin (« l’oreille » qui symbolise l’utérus par où le Verbe de l’Esprit Saint pénétra la Vierge, la « nuque », les « reins », les « mammes » et le « flanc ») ;
– de la douleur (« a pleuré », « a saigné ») ;
– de l’univers (« l’étoile », « l’infini », « la mer », et « l’Homme » archétypal et cosmique, avec H majuscule).
Le mouvement général du poème descend de « l’Etoile » qui pleure dans « l’oreille » au « flanc souverain » fécondé par l’Homme, via « l’infini » et « la mer », avec échange d’humeurs (« larmes », « perles (d’écume)», « sang ») entre les éléments cosmiques et féminins, comme si le cosmos se mêlait, pénétrait, fécondait le corps féminin ou du moins le principe féminin dans lequel on peut voir la Terre (Gaïa) sous les traits de Cybèle (déesse phrygienne de la fécondité) placée sous l’empire absolue de Vénus, déesse de l’Amour sortie de l’eau dans une conque (« La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles») : une véritable descente douloureuse de l’Esprit dans la Chair.
Blason du corps féminin vu en acte dans un coït cosmique, ce poème à clé se doublerait de toute une symbolique chromatique dans l’esprit de « Voyelles » auquel il est directement rattaché : après l’attribution de couleurs à chaque voyelle dans « Voyelles » (dans un apparent désordre par rapport à l’ordre latin, mais respectant parfaitement l’ordre grec : le « O » final est bien « l’Oméga, rayon violet de tes yeux », dernière lettre de l’alphabet grec, et il suffit de voir l’écriture du « e » dans un manuscrit autographe pour s’apercevoir qu’il est écrit comme un « epsilon » et non comme un « e »), Rimbaud attribuerait maintenant des couleurs aux divers éléments de l’univers (dont l’Homme cosmique), et la « gamme chromatique » (prise dans un sens qui ne l’opposerait plus ici à « la gamme diatonique », mais la rattacherait aux « couleurs » ou « khrôma ») offrirait donc une grille de lecture symbolique universellement applicable à toute vision, devenant par la même occasion une source inépuisable d’inspiration poétique : l’Etoile est rose, l’infini blanc, la mer rousse et le sang de l’Homme noir…
Alors : couleurs impressionnistes ou couleurs symboliques selon l’analyse pertinente de Suzanne Bernard dans son article de 1959 sur « La palette de Rimbaud » ?
En fait : couleurs qui font référence au canon de la Beauté mythologique grecque. Là encore la solution se trouve peut-être dans « Soleil et chair », que je cite brièvement : « O renouveau d’amour/ Kallypige la blanche », « O grande Ariadné/ Blanche sous le soleil », « Et tandis que Cypris passe/ Et, cambrant les rondeurs splendides de ses reins/ Etale fièrement l’or de ses larges seins/ Et son ventre neigeux brodé de mousse noire/ Heraclès s’avance etc. » : chaque couleur semble se rattacher ici non plus au cosmos mais bien au symbolisme du corps féminin mythologique : la belle femme, que qualifie chez les Grecs la beauté de ses fesses rondes et blanches (kallypige), est blanche de peau, ses larges seins (mammes) sont en vermeil (double sens de « vermeil » : argent doré ou rouge vif), enfin son ventre est blanc de neige, brodé de mousse noire (en référence au pubis).
Mais alors pourquoi dans « L’Etoile a pleuré rose » il semblerait que ce soit l’Etoile qui est rose, l’infini qui est blanc, la mer qui est rousse et le sang de l’Homme qui est noir, comme nous l’avons vu plus haut ?
Tout simplement Rimbaud utilise ici des hypallages, figure de style et procédé rhétorique qui consiste à attribuer à certains mots ce qui convient à d’autres mots : ce sont bien les oreilles qui sont « roses », les reins (et les fesses) qui sont « blancs », les mammes vermeilles (« en vermeil », en usant d’une liberté de langage) dont les tétons, semblables à des « perles » laissées par la mer, sont « roux », le flanc (le pubis) qui est « noir ». Le procédé permet de totalement mêler le Cosmos à la Femme dans un coït poético-cosmique mis ici en abyme selon un procédé d’inclusion totalement conforme au « blason » de l’art héraldique : poème « blason d’amour» total donc, « littéralement et dans tous les sens» aurait dit Rimbaud, poétique et héraldique.
Voilà, Athanaïs-«l’Elue », je vous livre les prémices de cette analyse inédite que vous pouvez totalement contester (je ne l’ai lue en tout cas nulle part, mais « je n’ai pas lu tous les livres » contrairement à Mallarmé).
Tout ceci pour vous dire que ce qui peut vous paraître trop forcé ou « tiré par les cheveux », n’a rien d’extraordinaire dans le cadre du commentaire d’un poème de Rimbaud, premier prix de poésie latine et de traduction grecque (lisez ses poèmes en latin et vous comprendrez vite, si je puis dire), qui connaissait par cœur des passages entiers de l’Enéide et possédait parfaitement à 14 ans toutes les arcanes de la mythologie grecque et latine, entre autres…
Vous qui n’aimez pas les « professeurs qui compliquent beaucoup trop » (je ne suis pas professeur), vous devez avoir à l’esprit toute cette dimension immense de la culture classique de l’époque, pour les meilleurs élèves des classes de rhétorique en tout cas, pour juger de toute la richesse d’un poème : rien n’y est écrit au hasard, et surtout pas chez Rimbaud qui justement reprochait aux Romantiques dans la « Lettre du Voyant » de si peu comprendre ce qu’ils écrivaient (« Les romantiques, qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l’œuvre, c’est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur » : en véritable aède grec, en digne successeur d’Homère ou de Virgile : « Tu vates eris », Rimbaud voulait chanter ET comprendre sa propre pensée)… Contrairement à ce qu’ont proclamé les Surréalistes exagérément, Rimbaud ne fut pas un ennemi déclaré de la Raison, ni un adepte absolu de « l’écriture automatique » !
Rimbaud n’était pas seulement le « traîne-savate qui buvait et se défonçait » dont vous parlez ailleurs (dans un commentaire de « Départ », je crois) de manière très réductrice et simpliste, pas plus que Verlaine n’était qu’un ivrogne au vin triste ou Mallarmé qu’un dépressif, petit professeur très chahuté d’anglais à Tournon en Ardèche (nom qui réunit l’Art et la Dèche, disait-il en plaisantant) : cette « défonce », comme son homosexualité d’ailleurs (Rimbaud aimait aussi les femmes, la preuve éclatante ici), répondait avant tout à un programme très pensé « d’encanaillement, de long et raisonné dérèglement de tous les sens » pour l’amener à une hallucination première avant l’hallucination verbale qui lui permettrait ensuite de mieux voir le monde dans une relation plus originelle, plus virginale, pour le changer : il faut changer les mots pour changer la vie…
Je vous laisse y réfléchir Athanaïs… Poétiquement vôtre !
Qui vous dit qu’il parle d’une femme ? Pour moi c’est un poème qui parle d’actes sexuels avec Verlaine.
C’est à la suite de « voyelles » (corps féminin) que ce quatrain décrit le corps de la femme qui est avec un homme… à son flanc… mais ce poème a une clé ! Etiemble est passé à côté, le pauvre !
Vous plairait-il t’entendre une version de ce poème mis en musique et chanté ?
Ce poème m’est entré dans la tête à 17 ans et n’en est plus jamais ressorti..
Ce poème comme Marie d’Apollinaire a été mis en musique par Léo Ferré.
L’étoile a pleuré rose à ton flanc souverain
La Femme, ou la Terre?
Il est cool
L’adverbisation de la métaphore rappelle la volupté du papillon pédant aux ailes de soie.
L’intime et le sublime. Sacralisation de l’amour comme un rite barbare où le divin se mêle à l’extase et l’homme se perd.
Je pense qu’il y a dans ce poème l’expression de la souveraineté de la Femme.
Magnifique poème, très court mais qui exprime tout un tas de choses dans l’implicite. Les alexandrins ajoutent de la noblesse aux mots de Rimbaud.