Sa grandeur éblouit l’histoire.
Quinze ans, il fut
Le dieu que traînait la victoire
Sur un affût ;
L’Europe sous sa loi guerrière
Se débattit. –
Toi, son singe, marche derrière,
Petit, petit.
Napoléon dans la bataille,
Grave et serein,
Guidait à travers la mitraille
L’aigle d’airain.
Il entra sur le pont d’Arcole,
Il en sortit. –
Voici de l’or, viens, pille et vole,
Petit, petit.
Berlin, Vienne, étaient ses maîtresses ;
Il les forçait,
Leste, et prenant les forteresses
Par le corset ;
Il triompha de cent bastilles
Qu’il investit. –
Voici pour toi, voici des filles,
Petit, petit.
Il passait les monts et les plaines,
Tenant en main
La palme, la foudre et les rênes
Du genre humain ;
Il était ivre de sa gloire
Qui retentit. –
Voici du sang, accours, viens boire,
Petit, petit.
Quand il tomba, lâchant le monde,
L’immense mer
Ouvrit à sa chute profonde
Le gouffre amer ;
Il y plongea, sinistre archange,
Et s’engloutit. –
Toi, tu te noieras dans la fange,
Petit, petit.
Victor Hugo, Les Châtiments
Alors que de nos jours la blogosphère est parfois immonde, Victor Hugo démontre magistralement que la poésie est une arme du peuple contre la tyrannie. J’aime la manière dont il met en parallèle, avec une gradation, le destin de Napoléon 1er et de Napoléon III. Le premier est successivement grand, dieu victorieux, grave et serein, guide, leste, triomphant de cent bastilles, puis il devient avide de sa gloire et enfin sinistre Archange. Le second est successivement accusé d’être le singe du premier, puis d’inciter ses troupes à piller et voler, puis a violer les filles, puis à boire le sang des adversaires, enfin, il lui est prédit qu’il se noiera dans la fange… en restant petit, petit.
Magnifique poème qui dènonce la tyrannie de Napoléon ce qui est rarement fait dans notre pays