Parés de lauriers éphémères,
Tu vois courir les plus pressés,
Et tu souris à leurs chimères,
Doux rêveur aux calmes pensers.
Mais parfois ton esprit s’étonne :
Pourquoi produire avant le temps ?
Les dons savoureux de l’automne
Ne se cueillent point au printemps.
N’importe ! dans leur folle ivresse,
Ils vont, ils vont, les gais chanteurs !
De ta studieuse paresse,
Bruyants, ils raillent les lenteurs.
Mais, sourd à leur jeune délire,
Peu jaloux d’un précoce essor,
Tu t’enfermes avec ta lyre,
Pouvant, ne voulant point encor.
De Chénier disciple fidèle,
Au but pour atteindre en vainqueur,
Tu veux laisser croître ton aile,
Tu veux laisser mûrir ton cœur.
Tu sais ta force et t’en contentes ;
Comme à la fleur tu tiens au fruit :
Les muses graves que tu hantes
Aiment la gloire et non le bruit.
Dans ses lentes métamorphoses
Étudiant l’Art éternel,
Pour toi, du suc choisi des choses
En silence tu fais ton miel.
Heureux de leurs jeunes victoires,
Tu t’en réjouis à l’écart,
Mais tu restes épris des gloires
Des vieux patriarches de l’Art.
Poursuis ainsi, de nul système
N’accepte le joug importun ;
A toute fleur, à tout poème
Ne prends jamais que le parfum.
Admire et sens ! jamais n’imite !
Et le beau, cherche-le partout !
L’Art ne connaît point de limite,
Hormis la limite du goût.
Abeille du jardin des rimes,
Butine en toute liberté ;
Vole aux vallons et vole aux cimes,
Partout où fleurit la beauté !
Et, muse avide mais discrète,
Rapporte ton culte et ton cœur
A Virgile, le doux poète,
A Shakspeare, le grand penseur.
Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages