Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.
Enfin ! il m’est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! D’abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.
Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la journée : avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l’un m’a demandé si l’on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île) ; avoir disputé généreusement contre le directeur d’une revue, qui à chaque objection répondait : « — C’est ici le parti des honnêtes gens, » ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins ; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues ; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d’acheter des gants ; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m’a prié de lui dessiner un costume de Vénustre ; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m’a dit en me congédiant : « — Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z… ; c’est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons ; » m’être vanté (pourquoi ?) de plusieurs vilaines actions que je n’ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j’ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain ; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle ; ouf ! est-ce bien fini ?
Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Âmes de ceux que j’ai aimés, âmes de ceux que j’ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu ! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise !
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869
Je constate que le monde du 19 -ème siècle n’est en rien différent du notre. Même affliction, même dégoût, même comportement. Hormis la technologie envahissante, la nature de l’homme est restée telle qu’elle.
J’aime sa façon de parler des fleurs
Pour moi, le dernier paragraphe de cette nouvelle représente La prière du poète. Qui se retrouve plongé dans la quête de quiétude à travers un monde insensé que les niveaux de pouvoirs dictent la direction d’une société.
Par moments, j’aime bien démarrer mon moment d’introspection avec ces mots…
J’adore cette poésie car elle exprime la beauté de la nature
Trop tot disparu, quel manque de belles oeuvres à lire.
C’est plutôt une effusion de pensées et émotions qu’un poème typique, mais c’est assez efficace dans ce format. C’est intéressant comment le sens de la «nuit», «silence», etc. est équivoque (est-ce qu’ils signifier le calme, les mauvaises réflexions, ou peut-être les deux ?) Quel fascinant poème !
A post-so : j’aimerais bien savoir d’où provient cette citation (j’ai l’impression d’un coup d’épée dans l’eau). Le dernier paragraphe, une splendeur. Je me le récite souvent depuis mon adolescence, au moins trente ans…
à Appolo ;
« Baudelaire est l’homme qui ne s’oublie jamais. Il se voit regarder. Il regarde pour se voir regarder. Sa conscience, ainsi continuellement épiée, feint une attitude naturelle en vacant à ses affaires quotidiennes. Mais rien n’est naturel chez lui, et c’est cette conscience sans immédiateté qui fait de lui un si grand poète. Chacun le constate, il est le seul à ne pas le voir, aveuglé par l’intense éclat de sa propre lumière. »
Que dire de ce Poème? A quoi le comparer sinon, à un miroir naturel, émotionnel, d’une personne solitaire qui trouve refuge et comme témoin la mer nuit
Un poême trop long et trop prolixe pour être un beau poême !
Quoi dire, en lisant « À Une heur du matin » de Baudelaire j’ai pu me rappeller de mes moments solitaires, si bien que ces phrases m’ont inspiré une nouvelle façon de voir les choses. J’aurais aimer habiter Paris à son époque afin de le rencontrer!
Quand je vivais à Paris, j’étais dans une terrible solitude au beau milieu de la plus vaste foule, devenant à moitié fou et complètement misanthrope – mais à l’instar de Baudelaire, certes sans son génie, j’avais fait de la nuit le fief de mon orgueil, et même produit moi aussi quelques vers, que je me garderai prudemment de vous infliger ici. Ce poème en prose d’une lucidité assez noire est à rapprocher de L’Examen de Minuit, et aussi du poème introductif Au Lecteur dans les Fleurs du Mal.
Quelle beauté! Cher Baudelaire, j’aurais aimé vous connaître… et vous chantez l’Univers…
magnifique inventaire nocturne ,ô combien êm dur…
C’est dans le silence absolu de la nuit que l’on retrouve ses esprits. Loin de ces bouches profanes et de ces idées obscures que l’on se revelle à soi. Une heure du matin c’est le meilleur moment pour faire le bilan de sa journée.
Il est une heure ici aussi. Je ne connais rien à la poésie et à Baudelaire. Ce soir, j’ai voulu explorer un nouveau monde, le mien m’ennuie, j’ai tapé BAUDELAIRE et me voici écoutant sa lassitude et me voici moins seul. J’entend presque les fiacres. « Seigneur mon Dieu! Accordez moi la grâce de produire quelques beaux vers … ». Je comprend sa lassitude. Seul dans sa chambre, il n’est rien. Il sera quelqu’un lorsqu’il s’oubliera et produira un beau poème. Etre ou ne pas être, voila la question. En fait, j’aime bien. Il peut se permettre de tout écrire, car ses phrases sont tenus par un mince et solide filin qui les arriment au sol.
il ya 1e part d beaute meme ds la laideur