Saintes demeures du silence,
Lieux pleins de charmes et d’attraits,
Port où, dans le sein de la paix,
Règne la Grâce et l’Innocence ;
Beaux déserts qu’à l’envi des cieux,
De ses trésors plus précieux
A comblés la nature,
Quelle assez brillante couleur
Peut tracer la peinture
De votre adorable splendeur ?
Les moins éclatantes merveilles
De ces plaines ou de ces bois
Pourraient-elles pas mille fois
Épuiser les plus doctes veilles ?
Le soleil vit-il dans son tour
Quelque si superbe séjour
Qui ne vous rende hommage ?
Et l’art des plus riches cités
A-t-il la moindre image
De vos naturelles beautés ?
Je sais que ces grands édifices
Que s’élève la vanité
Ne souillent point la pureté
De vos innocentes délices.
Non, vous n’offrez point à nos yeux
Ces tours qui jusque dans les cieux
Semblent porter la guerre,
Et qui, se perdant dans les airs,
Vont encor sous la terre
Se perdre dedans les enfers.
Tous ces bâtiments admirables,
Ces palais partout si vantés,
Et qui sont comme cimentés
Du sang des peuples misérables,
Enfin tous ces augustes lieux
Qui semblent, faire autant de dieux
De leurs maîtres superbes,
Un jour trébuchant avec eux,
Ne seront sur les herbes
Que de grands sépulcres affreux.
Mais toi, solitude féconde,
Tu n’as rien que de saints attraits,
Qui ne s’effaceront jamais
Que par l’écroulement du monde :
L’on verra l’émail de tes champs
Tant que la nuit de diamants
Sèmera l’hémisphère ;
Et tant que l’astre des saisons,
Dorera sa carrière,
L’on verra l’or de tes moissons.
Que si parmi tant de merveilles
Nous ne voyons point ces beaux ronds,
Ces jets où l’onde par ses bonds
Charme les yeux et les oreilles,
Ne voyons-nous pas dans tes prés
Se rouler sur des lits dorés
Cent flots d’argent liquide,
Sans que le front du laboureur
A leur course rapide
Joigne les eaux de sa sueur ?
La nature est inimitable ;
Et quand elle est en liberté,
Elle brille d’une clarté
Aussi douce que véritable.
C’est elle qui sur ces vallons,
Ces bois, ces prés et ces sillons
Signale sa puissance ;
C’est elle par qui leurs beautés,
Sans blesser l’innocence,
Rendent nos yeux comme enchantés.
Jean Racine