Respirant un même fumet
et humant les mêmes vapeurs,
ils se retrouvent aux mêmes heures,
estomacs vides qu’on vient combler.
Heureux symbole d’une famille
entourant à nouveau la table
où chacun se remplit le râble
sans regarder son vis-à-vis.
Unis par une même chaleur
qui coule de bouche en estomac,
leurs pensées se promènent ailleurs
quand ils se penchent sur les plats.
Si proches, et pourtant étrangers…
si proches et pourtant si lointains…
chacun son monde, chacun le sien
quand ils sont là à mastiquer…
plongeant le nez dans un bouquin…
ou méditant dans le rata…
ou triturant la mie de pain…
ou souriant… rien que pour soi…
Puis, dans une même digestion
qui fait encore le trait d’union,
ils garderont haleines semblables
quand ils auront quitté la table.
Mêmes composants, même chimie
rythmant leurs tubes digestifs,
ils se retrouvent pif à pif,
de repas en repas, unis.
Esther Granek, Portraits et chansons sans retouches, 1976