Eh ben ! oui, j’ suis bu. Et puis, quoi ?
Que qu’ vous m’voulez, messieurs d’la rousse ?
Est-ç’ que vous n’aimez pas comm’ moi
Àvous rincer la gargarousse ?
Voyez-vous, frangins, eh ! sergots,
Faut êt’ bon pour l’espèce humaine.
D’vant l’ pivois les homm’s sont égaux.
D’ailleurs j’ai massé tout’ la s’maine.
(Tu sais, j’ dis ça à ton copain,
Pa’ç’que j’vois qu’ c’est un gonç’ qui boude.
Mais entre nous, mon vieux lapin,
J’ai jamais massé qu’à l’ver l’coude.)
Après six jours entiers d’turbin,
J’ me sentais la gueule un peu sale.
Vrai, j’avais besoin d’ prend’ un bain ;
Seul’ment j’l’ai pris par l’amygdale.
J’ sais ben c’ que vous m’ dit’s : qu’il est tard,
Que j’ baloche et que j’ vagabonde.
Mais j’ suis tranquill’ j’ fais pas d’pétard.
Et j’ crois qu’ la rue est à tout l’ monde.
Les pant’s sont couchés dans leurs pieux,
Par conséquent je n’ gên’ personne.–164 –
Laissez-moi donc ! j’ suis un pauv’ vieux.
Où qu’ vous m’emm’nez, messieurs d’la sonne ?
Quoi ? vrai! vous allez m’ ramasser ?
Ah ! c’est muf! Mais quoi qu’on y gagne !
J’m’en vas vous empêcher d’pioncer.
J’ ronfle comme un’ toupi’ d’All’magne.
Jean Richepin, La chanson des gueux, 1881
Tant d’humour et de panache, le vécu seul aboutie à cela, une culture trop souvent oublié comme celle de Gaston Couté et pourtant me rappele les dessins et la littérature du regretté Réser.
Comment fait Richepin pour rester poète si doué tout en imitant si bien un ivrogne? J’adore!!!
une pure beauté