L’heureux talent dont vous charmez la France
Avait en vous brillé dès votre enfance ;
Il fut dès lors dangereux de vous voir,
Et vous plaisiez même sans le savoir.
Sur le théâtre heureusement conduite,
Parmi les vœux de cent cœurs empressés,
Vous récitiez, par la nature instruite :
C’était beaucoup, ce n’était point assez ;
Il vous fallut encore un plus grand maître.
Permettez-moi de faire ici connaître
Quel est ce Dieu de qui l’air enchanteur
Vous a donné votre gloire suprême :
Le tendre Amour me l’a conté lui-même ;
On me dira que l’Amour est menteur :
Hélas! je sais qu’il faut qu’on s’en défie ;
Qui mieux que moi connaît sa perfidie ?
Qui souffre plus de sa déloyauté ?
Je ne croirai cet enfant de ma vie ;
Mais cette fois il a dit vérité.
Ce même Amour, Vénus et Melpomène,
Loin de Paris faisaient voyage un jour ;
Ces Dieux charmants vinrent dans ce séjour
Où vos appas éclataient sur la scène ;
Chacun des trois avec étonnement
Vit cette grâce et simple et naturelle,
Qui faisait lors votre unique ornement :
Ah ! dirent-ils, cette jeune mortelle
Mérite bien que sans retardement
Nous répandions tous nos trésors sur elle.
Ce qu’un Dieu veut se fait dans le moment.
Tout aussitôt la tragique déesse
Vous inspira le goût, le sentiment,
Le pathétique, et la délicatesse :
Moi, dit Vénus, je lui fais un présent
Plus précieux, et c’est le don de plaire ;
Elle accroîtra l’empire de Cythère,
A son aspect tout cœur sera troublé,
Tous les esprits viendront lui rendre hommage ;
Moi, dit l’Amour, je ferai davantage,
Je veux qu’elle aime. A peine eut-il parlé
Que dans l’instant vous devîntes parfaite ;
Sans aucuns soins, sans étude, sans fard,
Des passions vous fûtes l’interprète :
Ô de l’Amour adorable sujette,
N’oubliez point le secret de votre art.
Voltaire, Épîtres, stances et odes
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