En mars, quand s’achève l’hiver,
Que la campagne renaissante
Ressemble à la convalescente
Dont le premier sourire est cher ;
Quand l’azur, tout frileux encore,
Est de neige éparse mêlé,
Et que midi, frais et voilé,
Revêt une blancheur d’aurore ;
Quand l’air doux dissout la torpeur
Des eaux qui se changeaient en marbres ;
Quand la feuille aux pointes des arbres
Suspend une verte vapeur ;
Et quand la femme est deux fois belle,
Belle de la candeur du jour,
Et du réveil de notre amour
Où sa pudeur se renouvelle,
Oh ! Ne devrais-je pas saisir
Dans leur vol ces rares journées
Qui sont les matins des années
Et la jeunesse du désir ?
Mais je les goûte avec tristesse ;
Tel un hibou, quand l’aube luit,
Roulant ses grands yeux pleins de nuit,
Craint la lumière qui les blesse,
Tel, sortant du deuil hivernal,
J’ouvre de grands yeux encore ivres
Du songe obscur et vain des livres,
Et la nature me fait mal.
René-François Sully Prudhomme, Les solitudes
Je n’ai vraiment pas aimé le poème…
Sully-Prudhomme est un poète raffiné ; il s’exprime toujours avec précision et justesse. Pourtant, ce n’est pas mon poème préféré. J’en ai un autre qui me revient à l’esprit : le meilleur moment des amours n’est pas lorsque l’on dit je t’aime il est dans le silence même à demi rompu tous les jours etc… musicalement c’est la même tonalité que celui-ci. j’y reconnais bien son style.
« Oh ! Ne devrais-je pas saisir
Dans leur vol ces rares journées » pourtant je suis en deuil de ma mère « Et la nature me fait mal. » Comme les poètes savent bien dire les choses, c’est remarquable.