Pauvre lecteur. Blasé. Repu.
Romans-pavés. Immense flux.
Monstrueux fleuve de papier.
Torrents de forêts sacrifiées.
Une ère expire… Un art se meurt…
Pauvre lecteur.
Blasé. Repu. Pris de vertige.
Sous la marée, ses goûts se figent.
Et pour se mettre moins à mal,
ne lit plus qu’en diagonale.
Une ère expire… Un art se meurt…
Pauvre lecteur.
Pris de vertige. Frôlant l’apnée.
Les vagues ont envahi les berges.
Lorsque soudain sa tête émerge
d’entre les flots. Comme avinée.
Une ère expire… Un art se meurt…
Pauvre lecteur.
Frôlant l’apnée. Perdue, la flamme !
Quand l’oeuvre lui entrait dans l’âme,
il s’y mirait, tel son auteur,
pour maintes fois y revenir.
Une ère expire… Un art se meurt…
Pauvre lecteur.
Perdue, la flamme ! Plus rien ne lit.
À la télé, se momifie.
Baîllant. Ronflant. Crevant d’ennui.
Anesthésié. Donc sans douleur.
Une ère expire… Un art se meurt…
Pauvre lecteur.
Esther Granek, De la pensée aux mots, 1997