Certaine fille un peu trop fière
Prétendait trouver un mari
Jeune, bien fait et beau, d’agréable manière.
Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.
Cette fille voulait aussi
Qu’il eût du bien, de la naissance,
De l’esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir ?
Le destin se montra soigneux de la pourvoir :
Il vint des partis d’importance.
La belle les trouva trop chétifs de moitié.
Quoi moi ? quoi ces gens-là ? l’on radote, je pense.
A moi les proposer ! hélas ils font pitié.
Voyez un peu la belle espèce !
L’un n’avait en l’esprit nulle délicatesse ;
L’autre avait le nez fait de cette façon-là ;
C’était ceci, c’était cela,
C’était tout ; car les précieuses
Font dessus tous les dédaigneuses.
Après les bons partis, les médiocres gens
Vinrent se mettre sur les rangs.
Elle de se moquer. Ah vraiment je suis bonne
De leur ouvrir la porte : Ils pensent que je suis
Fort en peine de ma personne.
Grâce à Dieu, je passe les nuits
Sans chagrin, quoique en solitude.
La belle se sut gré de tous ces sentiments.
L’âge la fit déchoir : adieu tous les amants.
Un an se passe et deux avec inquiétude.
Le chagrin vient ensuite : elle sent chaque jour
Déloger quelques Ris, quelques jeux, puis l’amour ;
Puis ses traits choquer et déplaire ;
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire
Qu’elle échappât au temps cet insigne larron :
Les ruines d’une maison
Se peuvent réparer ; que n’est cet avantage
Pour les ruines du visage !
Sa préciosité changea lors de langage.
Son miroir lui disait : Prenez vite un mari.
Je ne sais quel désir le lui disait aussi ;
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu’on n’aurait jamais cru,
Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse
De rencontrer un malotru.
Jean de La Fontaine
Merci Toto !!!
A force de faire le ou la difficile on se retrouve le bec dans l’eau. Ou comment savoir revoir ses prétentions à la baisse. Cqfd
Merci à Gil en 2023 de nous avoir permis de faire la comparaison entre un « Jean-Paul Brighelli » alias toto en 2009 et une « Sandrine Rousseau » alias Anne en 2021. Grandeur et décadence de la France.
Grand merci à Toto pour son commentaire écrit en 2009. A comparer à celui d’Anne écrit en 2021, pour ressentir les profonds méfaits de l’air ambiant !
Cela pourrait également s’appliquer à certains hommes se croyant beaux et qui ne voient pas l’âge venir… Jolie fable, bonne morale.
Très drôle ce poème.
Une belle leçon de misogynie, c’est sûr! La Fontaine faisait partie de ces auteurs qui, au XVIIe siècle, riaient des femmes qui avaient le malheur de vouloir s’instruire… Quoi? Une femme savante? Quelle blague! Tout ce qu’on demandait aux femmes était d’être jolies et discrètes… et surtout, surtout, de ne pas trop penser. Sans quoi, on tournait leur science en ridicule… Ce qui est intéressant, c’est quand même que cette « précieuse » dont le fabuliste se moque n’est visiblement sollicitée par les hommes que pour sa beauté… Celle-ci, avec l’âge s’amenuisant, attire ensuite moins de parti…. Il est vrai que pour bon nombre d’auteurs – masculins, il va sans dire – les femmes ont pour date de péremption l’âge de 20 ans… à une époque où on mariait les filles très jeunes, avec des hommes de l’âge de leur père, il n’y a pas de quoi s’étonner. Mais alors, qui sont les plus blâmables : une femme qui n’a pas voulu épouser le premier venu, uniquement intéressé par sa jeunesse et sa beauté, ou tous les hommes qui courtisent la vanité et la délaisse ensuite, sitôt passé 20 ans?… J’invite tous ceux et celles qui tomberont sur cette fable à la (re)lire avec un oeil plus avisé, sans perdre de vue que les préjugés (comme ceux que véhiculent notamment les Fables – il n’y a qu’à lire « Les femmes et le secret » pour s’en convaincre…) sont le tombeau de l’égalité entre les femmes et les hommes et, par là-même, l’écueil de l’humanité.
Ennuyeux
Très joli commentaire. Je suis enseignante de littérature française. J’aime.
Je pense que chaque fille, même les plus précieuses, doit avoir du respect en vers toute personne.
Dans la vrai vie malheureusement beaucoup de précieuses ne reçoivent pas la leçon que reçoit celle de la fable… c’est pourtant le salaire mérité de la bêtise et de préciosité…
Pour répondre à Babar.
Ce texte ne parle pas des précieuses ridicules mais des précieuses. Les précieuses ridicules sont, dans l’oeuvre de Molière, des provinciales qui immitent les précieuses de Paris. C’est pourquoi elles sont risibles. Célimène est une précieuse et elle n’est pas risible. Dans cette fable il s’agit des précieuses de manière générale, comme Célimène par exemple.
J’ai quatre filles et maintenant des petites filles. J’ai fait apprendre ce texte à mes enfants pour mon plaisir de père. A chaque fois que l’une d’entre elles fait un peu la fière je commence par: « une fille un peu trop fière… » et cela fait rire tout le monde et changer de sujet. Ce texte amusant est néanmoins très profond.
Cette poésie peut servir de leçon aux filles prétentieuses qui se croient les meilleures !
J’adore mais un peu compliqué a apprendre, bonne morale, en plus beaucoup de filles sont comme ça.
J’adore, on y trouve une bonne morale, je la prendrait pour mon devoir de français ;).
Génial !
Tres belle leçon de vie
Super bonne morale.(voir le Héron)
Cette fable me rappelle trop ma soeur =(
une fable dont on doit tirer un enseignement certain. il est malheureux qu’elle ne soit pas connue.
Eh oui, c’est malheureusement le sort de beaucoup de filles d’aujourd’hui qui jouent les fières et qui rêvent à on se sait quoi. Pour jouer dans la cour des grands ils faut en avoir les moyens…
Cette fable parle inévitablement des Précieuses ridicules qui sont ici tournées en dérision, par un retournement de situation .. Elle veut tout et finira avec rien ..
Cette fable est également assez duelle; car d’un côté nous ressentons de la pitié pour cette femme mais.. De l’autre nous avons cet aprioris disons ‘risible’ de cette situation.. Effectivement il est bien dommage que cette fable soit peu connue( mais en 1ère S nous la voyons) 🙂
Une belle fable malheureusement peu connue. C’est pourtant une chose qui, aide à charmer chez elle. J’aime cette fable. C’est une belle leçon de vie qu’elle a. Je crois que, le texte est une réflexion intense transformée en texte léger.
moi, ça ma fait penser à tous les moments que j’ai passé avec ma soeur morte et tous les moments que j’ai passé avec elle, c’est pareil pour cette magnifique poésie voilà !!!
tres bien
Commentaire :
Recueils poétiques de Jean de La Fontaine (1621-1695), Les Fables choisies mises en vers furent publiées à Paris de 1668 à 1693. La fable intitulée « La fille » est extraite du Livre VII, dans lequel elle figure en quatrième position (variable selon les éditions). Dédié à Mme de Montespan, ce livre figurant dans le second recueil des Fables semble nettement infléchir le ton: l’inspiration se diversifie, et les enjeux se complexifient. “La Fille”, met en scène une précieuse épousant à la fin de sa vie un malotru, et vise, peut-être, la Grande Mademoiselle qui a retardé son mariage jusqu’à 43 ans. Il s’agit de la seconde partie de cette fable “jumelle” : “Le Héron”. La moralité commune à ces deux versions, l’une animale, l’autre humaine, termine la première fable et sert de prologue à la seconde. Cette pièce a probablement été inspirée du poète latin Martial (V, 17.) ; il connaissait sans doute aussi le texte de Conrart. Il s’agira de voir en quoi cette fable est une satire de la préciosité. Dans une première partie nous verrons la structure du texte ; dans une seconde partie, nous verrons une critique de la préciosité ; enfin, dans une troisième partie, l’esthétique de la fable.
I Structure du texte
A/ L’introduction :
lignes 1/4 : l’introduction de la fable pose le sujet. Le but de la fille est clairement explicité dans les deux premiers vers : elle cherche un mari. Les deux vers suivants offrent au lecteur une description de ce mari : « Jeune, bien fait, et beau, d’agréable manière, / Point froid et point jaloux ». La Fontaine emploie ensuite une formule rhétorique, directement adressée au lecteur (« notez ces deux points-ci ») qui forme le passage entre l’introduction proprement dite (qui n’est pas encore l’exemplum de la fable) et le corps de la fable.
lignes 5/8 : les quatre lignes suivantes offrent la même structure (parallélisme : Dans une phrase, il y a parallélisme de construction lorsqu’une construction identique est répétée plusieurs fois). Ce que recherche la fille est à nouveau explicité, en précisant de nouvelles motivations. La formule finale est encore une fois une formule rhétorique qui s’adresse au lecteur : nous n’avons pas encore entamé le récit.
B/ Développement de la fable
les bons partis : nous pénétrons ici le corps même de la fable, suivant une logique dégressive. D’abord viennent les « bons partis » : le terme « destin » employé par le fabuliste prépare la morale finale : les souhaits de la Fille ont été comblé et elle devrait choisir un mari parmi ces premiers prétendants. Le passé simple employé dans le verbe « vint » est également une marque du passage au récit.
les médiocres gens : une phrase de transition assure le passage entre les « bons partis » et les « médiocres gens » : « Après les bons partis les médiocres gens » : la formulation adverbiale « après » souligne la structure chronologique de cette fable, qui nous renvoie au terme « destin » : nous sommes ici dans l’évocation d’une déchéance de laquelle nous voyons les étapes successives.
la déchéance : un saut temporel boucle cette déchéance : « L’âge la fit déchoir ». Un certain temps (impossible à déterminer) s’écoule entre les « médiocres gens » et cette déchéance. Nous comprenons que la Fille ne trouvera plus de mari. Le développement de la fable suit donc une logique tout à fait cohérente.
C/ La morale
la ruine finale : les « ruines du visage » de la Fille sont comparées aux ruines d’une maison : elle perd tout caractère féminin, et tout caractère humain, pour devenir une chose parmi d’autres. Elle s’est délabrée : on notera tous les aspects du vieillissement évoqués par La Fontaine qui se plaît à souligner cet état de délabrement qui caractérise à présent la Fille.
le malotru : le dernier mot de la fable présente avec concision le retournement de la fable et permet de passer des ambitions idéales à un réalisme ironique. En effet, le « malotru » apparaît comme l’antithèse au portrait de l’honnête homme dressé dans l’introduction, ce qui nous place face à une contradiction comique et satyrique. Tant par sa naissance et par son esprit que par sa naissance, le mari est présenté de manière déceptive et opposé à tous les codes de la préciosité.
II Une critique de la préciosité
A/ Les grandes ambitions de la fille appartiennent aux clichés de l’époque et de la reconnaissance sociale.
Le goût personnel emblématisé par les critères physiques et la beauté : « jeune, bien fait et beau » correspond également à un critère social, celui de l’honnête homme d’agréable compagnie autant par l’esprit que par le physique.
L’esprit correspond à un critère crucial pour les goûts de la préciosité, les plaisirs de la conversation faisant comme on le sait les délices des salons, d’où la place finale du mot esprit dans l’énumération visant à le mettre en valeur.
la fortune du mari est enfin le critère social par excellence, critère séparant les trois états, et permettant d’établir une hiérarchie sociale. La fortune est une preuve de raffinement et se confond avec la valeur de l’individu. Le goût de la précieuse pour les honnêtes hommes, fins et galant est donc loin d’être désintéressée. La formule « enfin tout » qui clôt l’énumération permet de résumer la figure type de l’honnête homme reconnu dans les salons. La perfection recherchée, si en phase soit-elle avec un idéal de société contenue dans les cinq premières lignes du texte s’opposent nettement avec le mot final du texte « malotru », qui désigne aussi bien l’homme sans esprit, peu éduqué, que l’homme au physique ingrat, et qui porte également une connotation sociale (un malotru n’est pas un homme de la haute société). Le décalage entre le mari idéal et le mari réel permet de souligner les défauts majeurs de la précieuse.
B/ Les vices de la précieuse
La fierté et la haute estime de soi sont les principaux défauts de la « fille », soulignées dès la première ligne : « un peu trop fière ». De même, le dédain et la haute estime de soi pousse à tout considérer comme insuffisant à son rang et à son raffinement : « à moi les proposer ? ». Cette supériorité convenue ouvre une attitude répétée qui est celle de repousser les opportunité :« car les précieuses/Font dessus tout les dédaigneuses ».
Le dédain est sutout à l’origine d’un profond mépris pour autrui. Dans la bouche de la précieuse, tout homme est indigne d’elle et tout être est inférieur, d’où l’utilisation d’un ton railleur et méprisant « ils font pitié. / Voyez un peu la belle espèce » :
C/ La précieuse dépréciée.
Entre le début et la fin du texte, on passe de l’image de la « belle » vue par elle-même supérieure et grande à la vieille décrépite objectivement rejetée par les hommes.
La vieillesse décrédibilise la précieuse aux yeux du monde car elle lui enlève la beauté, d’où les termes « choquer » et « déplaire ». Les détails physiques données par La Fontaine permettent de décrédibiliser la précieuse en utilisant la comparaison de la ruine.
L’inconstance dans ses principes permet également de réduire à néant les ambitions de la fille, qui devenue vieille change brusque ment d’avis et choisit le pragmatisme : « sa préciosité changea lors de langage » Conclusion, devant les réalité de la vie et l’exercice du temps, les idéaux de la préciosité ne tiennent pas et deviennent caducs. La fille ne trouve plus qu’à se persuader elle-même qu’elle a ce qu’elle désirait : l’auto-persuasion : « se trouva tout aise et tout heureuse », alors qu’elle se déclasse et se ridiculise.
Mépris et déclassement : La précieuse qui appartenait aux hautes sphères de la société du XVIIe siècle quitte alors la reconnaissance sociale pour prendre un malotru pour époux. L’appellation : « la fille » pour une femme noble suggérait dès le début cette déchéance.
III Esthétique de la fable
A/ Humour et ironie
Les détails physiques donnent un côté comique aux personnages décrits par La Fontaine : les hommes sont soit « trop chétifs de moitié », et elle est ridée et réduite à se cacher sous « cent sortes de fard ».
Le décalage burlesque entre idéal et réalité crée une contradiction comique. L’idéal du mari parfait résumé par « enfin tout » l 6, est totalement battu en brèche par le simple mot « malotru », qui fait du mariage le dernier recours à une situation désespérée. L’abaissement du personnage crée donc une situation burlesque (est burlesque ce qui retourne le haut en bas et vil).
La précieuse est enfin ridicule puisque son langage la déclasse: la parler peu correct de la « belle »
B/ La vitalité du style
Un lecteur pris à parti : Le lecteur est introduit par La Fontaine dans le corps de la fable :« notez ces deux points-ci », il apparaît comme une figure à persuader. La persuasion passe par cette accroche directe autant que par l’emploi de termes simple et intentionnellement populaires et décalés.
Le parler populaire s’oppose ainsi à la préciosité qu’il décrit et la déprécie : exemple « c’était ceci, c’était cela » l 50. De même l’emploi du terme « malotru » emprunte à un niveau de langage familier, donc décalé e créant une connivence avec le lecteur.
Le discours direct employé pour la fille permet également de vitaliser le récit et de créer un impact direct et concret sur le lecteur. Le personnage est rendu concret. Le but de la fable est donc d’instruire le lecteur de manière simple et plaisante.
Ainsi, la morale de la fable tend à dresser une satire efficace et vivante de la préciosité. La fable évolue donc selon un retournement, une opposition fondamentale entre le début et la fin, qui permet de rendre caducs les principes de raffinement et de reconnaissance sociale. La précieuse ne peut dès lors plus prétendre être autre chose qu’une simple « fille ». La Fontaine rejoint ici une satire récurrente au XVIIe siècle, déjà exploitée par Molière dans Les Précieuses ridicules. La fable est bien un écrit de son temps qui dresse une critique de la société en privilégiant des procédés comiques, destinés à rendre l’écrit plaisant à la lecture et persuasif.