Je suis seul dans la prairie
Assis au bord du ruisseau ;
Déjà la feuille flétrie,
Qu’un flot paresseux charrie,
Jaunit l’écume de l’eau.
La respiration douce
Des bois au milieu du jour
Donne une lente secousse
A la vague, au brin de mousse,
Au feuillage d’alentour.
Seul et la cime bercée,
Un jeune et haut peuplier
Dresse sa flèche élancée,
Comme une haute pensée
Qui s’isole pour prier.
Par instants, le vent qui semble
Couler à flots modulés
Donne à la feuille qui tremble
Un doux frisson qui ressemble
A des mots articulés.
L’azur où sa cime nage
A balayé son miroir,
Sans que l’ombre d’un nuage
Jette au ciel une autre image
Que l’infini qu’il fait voir.
Ruisselant de feuille en feuille,
Un rayon répercuté,
Parmi les lis que j’effeuille,
Filtre, glisse, et se recueille
Dans une île de clarté.
Le rayon de feu scintille
Sous cette arche de jasmin,
Comme une lampe qui brille
Aux doigts d’une jeune fille
Et qui tremble dans sa main.
Elle éclaire cette voûte,
Rejaillit sur chaque fleur ;
La branche sur l’eau l’égoutte ;
L’aile d’insecte et la goutte
En font flotter la lueur.
A ce rayon d’or qui perce
Le vert grillage du bord,
La lumière se disperse
En étincelle, et traverse
Le cristal du flot qui dort.
Sous la nuit qui les ombrage,
On voit, en brillants réseaux,
Jouer un flottant nuage
De mouches au bleu corsage
Qui patinent sur les eaux.
Sur le bord qui se découpe,
De rossignols frais éclos
Un nid tapissé d’étoupe
Se penche comme une coupe
Qui voudrait puiser ses flots.
La mère habile entre-croise
Au fil qui les réunit
Les ronces et la framboise,
Et tend, comme un toit d’ardoise.
Ses deux ailes sur son nid.
Au bruit que fait mon haleine,
L’onde ou le rameau pliant,
Je vois son œil qui promène
Sa noire prunelle pleine
De son amour suppliant.
Puis refermant, calme et douce,
Ses yeux sous mes yeux amis,
On voit à chaque secousse
De ses petits sur leur mousse
Battre les cœurs endormis.
Ce coin de soleil condense
L’infini de volupté.
O charmante Providence !
Quelle douce confidence
D’amour, de paix, de beauté !
Dans un moment de tendresse,
Seigneur, on dirait qu’on sent
Ta main douce qui caresse
Ce vert gazon, qui redresse
Son poil souple et frémissant !
Tout sur terre fait silence
Quand tu viens la visiter ;
L’ombre ne fuit ni n’avance :
Mon cœur même qui s’élance
Ne s’entend plus palpiter !
Ma pauvre âme, ensevelie
Dans cette mortalité,
Ouvre sa mélancolie,
Et comme un lin la déplie
Au soleil de ta bonté.
S’enveloppant tout entière
Dans les plis de ta splendeur,
Comme l’ombre à la lumière
Elle ruisselle en prière,
Elle rayonne en ardeur !
Oh ! qui douterait encore
D’une bonté dans les cieux,
Devant un brin de l’aurore
Qui s’égare et fait éclore
Ces ravissements des yeux ?
Est-il possible, ô nature !
Source dont Dieu tient la clé,
Où boit toute créature,
Lorsque la goutte est si pure,
Que l’abîme soit troublé ?
Toi qui dans la perle d’onde,
Dans deux brins d’herbe plies,
Peux renfermer tout un monde
D’un bonheur qui surabonde
Et déborde sur tes pieds,
Avare de ces délices
Qu’entrevoit ici le cœur !
Peux-tu des divins calices
Nous prodiguer les prémices
Et répandre la liqueur ?
Dans cet infini d’espace.
Dans cet infini de temps,
A la splendeur de ta face,
O mon Dieu ! n’est-il pas place
Pour tous les cœurs palpitants ?
Source d’éternelle vie,
Foyer d’éternel amour,
A l’âme à peine assouvie
Faut-il que le ciel envie
Son étincelle et son jour ?
Non, ces courts moments d’extase
Dont parfois nous débordons
Sont un peu de miel du vase,
Écume qui s’extravase
De l’océan de tes dons !
Elles y nagent, j’espère,
Dans les secrets de tes cieux,
Ces chères âmes, ô Père,
Dont nous gardons sur la terre
Le regret délicieux !
Vous, pour qui mon œil se voile
Des larmes de notre adieu,
Sans doute dans quelque étoile
Le même instant vous dévoile
Quelque autre perle de Dieu !
Vous contemplez, assouvies,
Des champs de sérénité,
Ou vous écoutez, ravies,
Murmurer la mer des vies
Au lit de l’éternité !
Le même Dieu qui déploie
Pour nous un coin du rideau
Nous enveloppe et nous noie,
Vous dans une mer de joie,
Moi dans une goutte d’eau !
Pourtant mon âme est si pleine,
O Dieu ! d’adoration,
Que mon cœur la tient à peine,
Et qu’il sent manquer l’haleine
A sa respiration !
Par ce seul rayon de flamme,
Tu m’attires tant vers toi,
Que si la mort de mon âme
Venait délier la trame,
Rien ne changerait en moi ;
Sinon qu’un cri de louange
Plus haut et plus solennel,
En voix du concert de l’ange
Changerait ma voix de fange,
Et deviendrait éternel !
Oh ! gloire à toi qui ruisselle
De tes soleils à la fleur !
Si grand dans une parcelle !
Si brûlant dans l’étincelle !
Si plein dans un pauvre cœur !
Alphonse de Lamartine, Recueillements poétiques, 1839
Génial, je le connait presque par coeur qu’on le lisant une seule fois oui, car Alponse de la Martine a laissé couler son coeur en mettant en évidence ce poème. Du coup en pensant la même chose on le connait mais aussi on le comprend.