D’un souffle virginal le plus aimé des mois
Emplit l’air ; le lilas aux troncs moussus des bois
Suspend sa grappe parfumée ;
Les oiseaux sont joyeux et chantent le soleil ;
Tout sourit ; du printemps, tout fête le réveil :
Toi seule es triste, ô bien-aimée !
« Pourquoi ces yeux rêveurs et ce regard penché ?
De quel secret ennui ton cœur est-il touché ?
Qu’as-tu ma grande et pâle Amie,
Qu’as-tu ? Vois ce beau ciel sourire et resplendir !
Oh ! souris-moi ! Je sens mon cœur s’épanouir
Avec la terre épanouie.
« Sur le cours bleu des eaux, au flanc noir de la tour,
Regarde ! l’hirondelle est déjà de retour.
Ailes et feuilles sont décloses.
C’est la saison des fleurs, c’est la saison des vers.
C’est le temps où dans l’âme et dans les rameaux verts
Fleurissent l’amour et les roses.
« Soyons jeunes ! fêtons le beau printemps vainqueur !
Quand on est triste, Amie, il fait nuit dans le cœur ;
La joie est le soleil de l’âme !
Oublions ce que l’homme et la vie ont d’amer !
Je veux aimer pour vivre et vivre pour aimer,
Pour vous aimer, ma noble Dame !
« Loin de nous les soucis, belle aux cheveux bruns !
Enivrons-nous de brise, et d’air et de parfums,
Enivrons-nous de jeunes sèves !
Sur leurs tiges cueillons les promesses des fleurs !
Assez tôt reviendront l’hiver et ses rigueurs
Flétrir nos roses et nos rêves ! »
Et, tandis qu’il parlait, muette à ses côtés,
Marchait la grande Amie aux regards veloutés ;
Son front baigné de rêverie
S’éclairait à sa voix d’un doux rayonnement ;
Et, lumière de l’âme, un sourire charmant
Flottait sur sa lèvre fleurie.
Auguste Lacaussade, Poèmes et Paysages, 1897