Qu’est-ce que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes
Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ?
Comme un tyran gorgé de viande et de vins,
Il s’endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
Les sanglots des martyrs et des suppliciés
Sont une symphonie enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés !
— Ah ! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives !
Dans ta simplicité tu priais à genoux
Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous
Que d’ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,
Lorsque tu vis cracher sur ta divinité
La crapule du corps de garde et des cuisines,
Et lorsque tu sentis s’enfoncer les épines
Dans ton crâne où vivait l’immense Humanité ;
Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible
Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang
Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,
Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux
Où tu vins pour remplir l’éternelle promesse,
Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,
Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
Où, le cœur tout gonflé d’espoir et de vaillance,
Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,
Où tu fus maître enfin ? Le remords n’a-t-il pas
Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ?
— Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
D’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve ;
Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !
Saint Pierre a renié Jésus… il a bien fait !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857
Dans « Ce que le jour doit à la nuit », Yamina Khadra nous disait ceci :
« Là où sévissent les hommes, le Seigneur est disqualifié. Ce n’est pas juste de l’accabler des méfaits que nous sommes les seuls à rendre possibles. »
Au-delà du « silence » de Dieu, Charles Baudelaire invite le lecteur à se rendre à l’évidence que Dieu est éternel et donc, qu’Il a tout son temps pour « régler » ses comptes avec l’Homme qui est temporel par le corps et intemporel par l’âme…
Sortir d’un monde ne signifie forcément mourir, peut-être qu’il s’agit de mûrir. Peut-être que Baudelaire ne nie pas Jésus mais ce qu’il représente cette manière que nous avons parfois d’attendre les ordres de là-haut alors que notre cœur fait tout pour nous dicter la voix. J’entrerai gaiement dans un monde où l’action est effectivement la sœur du rêve, inséparables.
Ce pamphlet laisse entrevoir que le silence de Dieu quant à la passion de son fils Jésus Christ est la réplique consciencieuse de l’apôtre Pierre « Malgré tout ce que l’on vit Dieu ne hâte point à lui venir en aide au moment opportun ».
Baudelaire compare Dieu à un dictateur qui ne se soucie qu’à lui seul.
Un poème profond
Révolte devant le silence de la divinité, puis chaque élément de la Passion sans ordre. Gethsemani, les clous, les crachats, les épines, La Croix, l’entrée dans Jérusalem, les rameaux, l’anesse, les marchands, la lance, le reniement de St Pierre pour justifier la révolte avec ce cri admirable de l’action et du rêve.
Je retiens surtout la chute. Baudelaire affirme qu’il sortira d’un monde (mourra) satisfait, car ce monde dans lequel il vivait (185X) manquait de rêve et d’horizon, monde « où l’action n’est pas la soeur du rêve ». Je retiens donc l’importance de rêver pour se représenter le futur afin qu’il advienne car c’est l’idée de futur qui est féconde, le futur en lui même n’est qu’un concept.
Baudelaire dit que franchement, Dieu il n’a pas été cool de laisser Jésus souffrir et de rire wesh. Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles : « Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité » !