Pour aimer une fois encor, mais une seule,
Je veux, libertin repentant,
La vierge qui, rêveuse aux genoux d’une aïeule,
Sans m’avoir jamais vu m’attend.
Elle est pieuse et sage, elle dit ses prières
Tous les soirs et tous les matins,
Et ne livre jamais aux doigts des chambrières
Ses modestes cheveux châtains.
Quelquefois, le dimanche, en robe étroite et grise,
Elle sort au bras d’un vieillard,
Laissant errer la vague extase et la surprise
Innocente de son regard.
Et les oisifs n’ont point de pensers d’infamies
Devant ses yeux calmes et doux,
Lorsque dans les jardins, chez les fleurs, ses amies,
Elle arrive à ses rendez-vous.
Elle est ainsi, n’aimant que les choses fleuries,
Préférant, pour passer le soir,
Les patients travaux de ses tapisseries
Aux sourires de son miroir.
Elle a le charme exquis de tout ce qui s’ignore,
Elle est blanche, elle a dix-sept ans,
Elle rayonne, elle a la clarté de l’aurore
Comme elle a l’âge du printemps.
Les heures des longs jours pour elle passent brèves
Et, s’exhalant comme un parfum,
Elle voit chaque nuit des blancheurs dans ses rêves,
Et toute sa vie en est un.
Telle elle est, ou du moins je la devine telle,
Lys candide, cygne ingénu.
Je la cherche, et bientôt, quand j’aurai dit : « C’est elle ! »
Quand elle m’aura reconnu,
Je veux lui donner tout, ma vie et ma pensée,
Ma gloire et mon orgueil, et veux
Choisir pour la nommer enfin ma fiancée
Une nuit propice aux aveux.
Elle viendra s’asseoir sur un vieux banc de pierre,
Au fond du parc inexploré,
Et me regardera sans baisser la paupière,
Et moi, je m’agenouillerai.
Doucement, dans mes mains, je presserai les siennes
Comme on tient des oiseaux captifs,
Et je lui conterai des choses très anciennes,
Les choses des cœurs primitifs.
Elle m’écoutera, pensive et sans rien dire,
Mais fixant sur moi ses grands yeux,
Avec tout ce qu’on peut mettre dans un sourire
D’amour pur et religieux.
Et ses yeux me diront, éloquences muettes,
Ce que disent à demi-voix
Les amants dont on voit les claires silhouettes
Blanchir l’obscurité des bois.
Et sans bruit, pour que seul, oh ! seul, je puisse entendre
L’ineffable vibration,
Jusqu’à moi son baiser descendra, grave et tendre
Comme une bénédiction.
Et quand elle aura, pure, à ma coupable lèvre
Donné le baiser baptismal,
Sans doute je pourrai guérir enfin ma fièvre
Et t’expulser, regret du mal.
Oui, bien qu’autour de moi plane toujours et rôde
L’épouvante de mon passé,
Que mon lit garde encor ta place toute chaude,
Ô désir vainement chassé,
Je pourrai, je pourrai, Nixe horrible, Sirène,
Secouer enfin la langueur
De mes sens et purger, ô femme, la gangrène
Dont tu m’as saturé le cœur,
Ainsi que fait du fard brûlant dont il se grime
L’histrion, chanteur d’opéras,
Ou comme un spadassin essuie, après le crime,
L’épée atroce sous son bras !
François Coppée, Le Reliquaire, 1866