Écoutez bien : l’heure est sonnée ;
La dernière du dernier jour,
Le dernier adieu d’une année
Qui vient de s’enfuir sans retour !
Encore une étoile pâlie ;
Encore une page remplie
Du livre immuable du Temps !
Encore un pas fait vers la tombe,
Encore une feuille qui tombe
De la couronne de nos ans !
Et toi qui viens à nous, jeune vierge voilée,
Dis-nous, dois-tu passer joyeuse ou désolée ?
Apprends-nous les secrets enfermés dans ta main :
Quels dons apportes-tu dans les plis de ta robe,
Vierge ; et qui nous dira le mot que nous dérobe,
Le grand mystère de demain ?
Dois-tu, comme la bien-aimée
Au souffle du vent matinal,
Passer rieuse et parfumée
Des senteurs du lit virginal ?
Dois-tu nous apparaître amère
Comme la douleur d’une mère
Au tombeau de ses enfans morts.
Ou, comme un lamentable drame,
Laisser pour adieu dans notre âme
Le désespoir et le remords ?
Mais qu’importe, mon Dieu, ce que ta main enserre
De pluie ou de soleil, de joie ou de misère !
Pourquoi tenter si loin le muet avenir ?
Combien, dans cette foule à la mort destinée.
Qui voyant aujourd’hui commencer cette année.
Ne doivent pas la voir finir !
Moi-même, qui fais le prophète.
Que sais-je, hélas ! si ce flambeau
Qui m’éclaire dans une fête
Ne luira pas sur mon tombeau ?
Peut-être une main redoutable
M’entraînera hors de la table
Avant le signal de la fin.
Comme une marâtre inhumaine
Qui guette un enfant, et l’emmène
Sans qu’il ait assouvi sa faim.
Et l’homme cependant, si pauvre et si fragile.
Passager d’un moment dans sa maison d’argile,
Misérable bateau sur l’Océan jeté,
Dans cet amas confus de rumeurs incertaines,
Sent au fond de son cœur comme des voix lointaines
Qui lui parlent d’éternité.
Et quoiqu’un terrible mystère
Lui laisse ignorer pour toujours
Si sa part d’avenir sur terre
Se compte par ans ou par jours,
Il croit, dans sa pensée altière.
Que pour jamais à la matière
Ce rayon de l’âme est uni :
Il cherche un but insaisissable :
Pour le rocher prenant le sable.
Et l’inconnu pour l’infini.
Mais regarde en arrière, et compte tes années,
Si promptes à fleurir et si vite fanées :
Celles-là ne devaient non plus jamais finir :
Qu’à des rêves moins longs ton âme s’abandonne,
Imprudent ! et du moins que le passé te donne
La mesure de l’avenir.
Toutefois de l’an qui commence
Saluons la nativité,
Cet anneau de la chaîne immense
Qui se perd dans l’éternité ;
Et s’il est vrai que cette année
Par grâce encor nous soit donnée,
N’usons pas nos derniers instans
A chercher si de son visage
Ce voile épais est le présage
De la tempête ou du beau temps.
Et vous tous, mes amis, vous qui sur cette terre
Semez d’ombre et de fleurs mon sentier solitaire,
Des biens que je n’ai pas puisse Dieu vous doter ;
Sitôt que la clarté doive m’être ravie,
Puisse-t-il ajouter aux jours de votre vie
Ceux qu’il lui plaira de m’ôter !
Félix Arvers, Mes heures perdues, 1833