Chantres associés et paisibles rivaux,
Qui mettez en commun la gloire et les travaux,
Et qu’on voit partager sans trouble et sans orage
D’un laurier fraternel le pacifique ombrage ;
Lorsque de toutes parts le public empressé,
Chez l’heureux éditeur chaque jour entassé.
De vos vers en naissant devenus populaires
Se dispute à l’envi les dix-mille exemplaires,
Pardonnez, si je viens à vos nobles accents
Obscur admirateur, offrir ma part d’encens.
Sur les abus criants d’un odieux système,
Lorsque le peuple entier a lancé l’anathème,
Et contre ces vizirs honnis et détestés,
S’est levé comme un homme et les a rejetés ;
Du haro général organes satiriques,
Vos vers ont démasqué ces honteux empiriques ;
Votre muse, esquissant leurs grotesques portraits,
D’un ridicule amer assaisonnant ses traits
Contre chaque méfait, vedette en permanence.
Improvisait un chant, comme eux une ordonnance,
Combattait pour nos droits, et lavant nos affronts,
D’un iambe vainqueur stigmatisait leurs fronts.
Mais lorsqu’ils ont enfin, relégués dans leurs terres,
Amovibles tyrans, pleuré leurs ministères.
Votre muse, à leur fuite adressant ses adieux.
Dans une courte épitre a rendu grâce aux dieux.
Dédaignant d’accabler, tranquille et satisfaite.
Ces ignobles vaincus meurtris de leur défaite.
Lors il fallut trouver dans ce vaste univers
Un plus noble sujet qui méritât vos vers :
Et vous avez montré dans les champs d’Idumée
L’Orient en présence avec la grande Armée,
Le Nil soumis au joug et du vainqueur d’Eylau
Le portrait colossal dominant le tableau.
Et quel autre sujet pouvait, -plus poétique.
Présenter à vos yeux son prisme fantastique ?
Quel autre champ pouvait, de plus brillantes fleurs
Offrir à vos pinceaux les riantes couleurs ?
Une invisible main, sous le ciel de l’Asie,
A, comme les parfums, semé la poésie :
Ces peuples, qui, pliés au joug de leurs sultans,
Résistent, obstinés à la marche du temps ;
Ces costumes, ces mœurs, ce stupide courage
Qui semble appartenir aux hommes d’un autre âge,
Ces palais, ces tombeaux, cet antique Memnon
Qui de leurs fondateurs ont oublié le nom ;
Ce Nil, qui sur des monts égarés dans la nue,
Va cacher le secret de sa source inconnue ;
Tout inspire, tout charme ; et des siècles passés
Ranimant à nos yeux les récits effacés.
Donne à l’éclat récent de nos jours de victoire
La couleur des vieux temps et l’aspect de l’histoire.
Votre muse a saisi de ces tableaux épars
Les contrastes brillants offerts de toutes parts :
Elle peint, dans le choc de ces tribus errantes
Le cliquetis nouveau des armes différentes,
Les bonnets tout poudreux de nos républicains
Heurtant dans le combat les turbans africains.
Et, sous un ciel brûlant, la lutte poétique
De la France moderne et de l’Asie antique.
Temps fertile en héros ! glorieux souvenir !
Quand de Napoléon tout rempli d’avenir,
Sur le sol de l’Arabe encor muet de crainte,
La botte éperonnée a marqué son empreinte,
Et gravé sur les bords du Nil silencieux
L’ineffaçable sceau de l’envoyé des cieux !
Beaux jours ! où Bonaparte était jeune, où la France
D’un avenir meilleur embrassait l’espérance.
Souriait aux travaux de ses nobles enfants,
Et saluait de loin leurs drapeaux triomphants ;
Et ne prévoyait pas que ce chef militaire
Vers les degrés prochains d’un trône héréditaire
Marchait, tyran futur, à travers tant d’exploits ;
Et mettant son épée à la place des lois,
Fils de la liberté, préparait à sa mère
Le coup inespéré que recelait Brumaire !
Mais enfin ce fut l’heure : et les temps accomplis
Marquèrent leur limite à ses desseins remplis.
Abattu sous les coups d’une main vengeresse,
Il paya chèrement ces courts instants d’ivresse.
Comme j’aime ces vers où l’on voit à leur tour,
Les rois unis livrer sa pâture au vautour ;
Des pâles cabinets l’étroite politique
Le jeter palpitant au sein de l’Atlantique,
Et pour mieux lui fermer un périlleux chemin,
Du poids d’indignes fers déshonorer sa main.
Sa main ! dont ils ont su les étreintes fatales,
Qui data ses décrets de leurs vingt capitales.
Qui, des honneurs du camp, pour ses soldats titrés.
Après avoir enfin épuisé les degrés.
Et relevant pour eux les antiques pairies,
Sur les flancs de leurs chars semé les armoiries,
Pour mieux récompenser ces glorieux élus,
A de la royauté fait un grade de plus.
Et vous, qui poursuivant une noble pensée,
Aux travaux de nos preux fîtes une Odyssée,
Qui montrant à nos yeux sous un soleil lointain
Ces préludes brillants de l’homme du destin,
Avez placé vos chants sous l’ombre tutélaire
D’une gloire historique et déjà séculaire,
Mêlés dans les récits des âges à venir,
Vos vers auront leur part de ce grand souvenir :
Comme, sous Périclès, ce sculpteur de l’Attique
Dont la main enfanta le Jupiter antique,
Dans les siècles futurs associa son nom
A l’immortalité des Dieux du Parthénon.
Félix Arvers, Pièces inédites, 1851
C’est bien mais c’est trop long