À M. B ***
Lorsqu’autrefois, au seuil des saintes basiliques,
Des rois, couverts d’un sac, et baisant des reliques.
Les reins ceints d’une corde, et les pieds tout meurtris,
Venaient s’agenouiller repentants et contrits ;
En expiation de quelques grands scandales
Humiliaient leur front dans la poudre des dalles.
Et dans le sanctuaire où Dieu s’était caché
Se frappaient la poitrine en criant : J’ai péché !
Dans le fond de ces cœurs à qui voulait descendre
L’orgueil apparaissait bientôt sous cette cendre,
Et laissait voir à nu ce que de vanité
Recelait en dedans si haute humilité.
Mais quand un homme obscur qui n’eut jamais l’envie
Que de cacher à tous la trace de sa vie,
Qui va suivant sa route en marquant chaque pas,
Par quelque œuvre de bien que l’on ne connaît pas,
Quand par hasard cet homme, après soixante années
D’honneur et de vertus l’une à l’autre enchaînées,
Arrivant près du terme, et las d’avoir marché,
Dans cette voie étroite une fois a bronché.
Alors il faut gémir qu’aux choses de la terre
La main d’un Dieu jaloux ait fait ce caractère
De ne pouvoir toujours, entre tant de combats,
Garder une vertu qui n’est point d’ici-bas,
Et vienne tôt ou tard jeter quelque mélange
Sur cette pureté qu’il réserve pour l’ange.
Comme pour faire voir que toujours d’un côté
Un cœur, si haut qu’il soit, touche à l’humanité.
Mais lors qu’après, cet homme, ayant dans le silence
Pesé cette action au poids de sa balance,
S’en revient devant tous pensif et recueilli,
Dire en plein jour, tout haut : Mes frères, j’ai failli !
Oh ! s’il a fait cela, la victoire est plus belle
Qu’il vient de remporter sur cette âme rebelle.
Cet effort est plus grand et plus beau, que d’avoir
Achevé, sans combat, la route du devoir.
Là, ce n’est pas le cri d’un vain orgueil qui pense
Dans son abaissement trouver sa récompense,
C’est le sublime aveu d’un cœur qui ne veut pas
Se faire un tel fardeau pour l’heure du trépas :
— Donc, relevez la tête, et ne vous touchez guères
De ce qu’ont dit en soi tous ces hommes vulgaires
Qui n’ont jamais senti, n’ayant point combattu,
Ce que donne de prix la lutte à la vertu.
Laissez-les ces gens-là, traîner sans résistance
Dans de froides vertus une pâle existence,
Par les chemins battus laissez-les pas-à-pas
S’avancer vers un but qu’ils ne comprennent pas ;
Et tenez pour certain qu’il est moins méritoire
D’avoir toujours suivi sans lutte et sans victoire
La monotone voix d’un honneur rétréci.
Qu’après être tombé se relever ainsi.
Félix Arvers, Pièces inédites, 1851