Dans le château de mon enfance
Fait de nuages et d’espérance
Dans ce taudis où je suis né
Où j’ai eu faim sans murmurer
Où s’engouffraient les vents mauvais
Et s’étirait l’aube glacée
Où les jours étaient des années
Je possédais sans le savoir
Encore l’immense don de croire
Que le bonheur est quelque part
Dans la chambre de ma jeunesse
Remplie d’amour et de promesses
De mes idées de mes projets
De mes vieux disques ébréchés
Et de poèmes inachevés
Et de mes phrases grandiloquentes
Et de mon génie en attente
Dans le printemps de mon ardeur
Je chérissais au fond du cœur
L’espoir d’un immense bonheur
Dans ma maison d’homme de bien
Dans l’acajou et le satin
Qu’on peut caresser de la main
Et se dire tout cela est mien
Dans mes trésors accumulés
Dans ma fonction parachevée
Dans mes revenus bien placés
Et dans le temps qui s’est enfui
Je cherche encore jusqu’aujourd’hui
Un bonheur qui s’est rétréci
Dans la maison de ma vieillesse
Dans ma demeure aux nombreuses pièces
Seul un petit coin me suffit
Alors errant dans mes lambris
Je voudrais jeter aux cochons
Les perles de ma distinction
Les fers forgés les bois taillés
Les peintures sur toile étalées
Et faire fleurir encore une fois
Ce bonheur qui n’est plus déjà
Qu’un blanc fossile comme moi.
Esther Granek, Portraits et chansons sans retouches, 1976
Un Bonheur qui ne semble pas absolu…
Encore un grand texte