Ce morceau de toile exposé,
pendu au mur et encadré,
couvert de tons, couvert de traits,
gens qui passez d’un air distrait
de salle en salle pour un peu voir…
à qui oserais-je avouer
y avoir mis tous mes espoirs ?
Je l’ai chéri, je l’ai aimé,
ce tableau qui de moi est né,
et en lui je me suis mirée.
Déjà je crains de me rappeler
ce qu’il a renfermé d’espoirs.
Et l’autre pendu à côté,
un peu de travers accroché
et qu’à peine on a remarqué,
gens qui tout en passant riez,
faisant autour de vous du charme…
à qui oserais-je avouer
y avoir mis toutes mes larmes ?
Je l’ai chéri, je l’ai aimé,
ce tableau qui de moi est né
et en lui je me suis mirée.
Mais que fait donc dans ce vacarme
cette chose qui a traduit mes larmes ?
Et celui qu’on voit en entrant
car de tous il est le plus grand.
Il y a des gens qui s’y arrêtent :
c’est là qu’on admire les toilettes
et qu’on fait le baise-main aux dames.
A qui oserais-je avouer
y avoir mis toute mon âme ?
Je l’ai chéri, je l’ai aimé
et en lui je me suis mirée,
ce tableau qui déjà me damne.
Et je rougis en me voyant,
âme qui s’étale à tout venant.
Et celui qui occupe le coin
et que les regards n’honorent point,
tout seul au bout de la rangée.
Personne ne s’en est approché
car on ne va pas jusque-là…
A qui oserais-je avouer
y avoir mis toute ma joie ?
Je l’ai chéri, je l’ai aimé
ce tableau qui de moi est né
et en lui je me suis mirée.
Dans la lumière de ma foi
que de fois l’ai-je contemplé.
Ce vernissage qui me tue
et qui expose mon âme à nu
me donne l’impression incongrue
d’aller, me montrant dans la rue
de tous mes habits dévêtue…
J’ai créé ma chair et mon sang
dans les douleurs de l’enfantement :
Château de cartes évanoui
sur le sable je t’ai bâti
du fond de ma mélancolie.
Et tout bas je n’ose m’avouer
qu’encore je vais recommencer.
Esther Granek, Portraits et chansons sans retouches, 1976
Peintre (amateur) je ressens ce sentiment que peut éprouver un peintre lors de ses expositions. Une part de sa vie, de ses ressentis, s’étalent dans l’indifférence…
Très bien ressenti, les expositions, les vernissages… Peu de visiteurs apprécient véritablement et s’intéressent aux toiles exposées, ils se promènent, papotent, parfois traversent les salles rapidement cherchant l’artiste qu’ils connaissent ou qui les a invités. Ils apprécient très superficiellement à de rares exceptions. La mise à nu de l’artiste peut être éprouvante car c’est son âme et son coeur qui est exposé.