Le Lion amoureux

Jean de La Fontaine

À Mademoiselle de Sévigné

Sévigné, de qui les attraits
Servent aux grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
À votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d’une Fable,
Et voir, sans vous épouvanter,
Un Lion qu’Amour sut dompter ?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connaître
Que par récit, lui ni ses coups !
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,
La Fable au moins se peut souffrir :
Celle-ci prend bien l’assurance
De venir à vos pieds s’offrir,
Par zèle et par reconnaissance.

Du temps que les bêtes parlaient,
Les Lions, entre autres, voulaient
Être admis dans notre alliance.
Pourquoi non ? Puisque leur engeance
Valait la nôtre en ce temps-là,
Ayant courage, intelligence,
Et belle hure outre cela.
Voici comment il en alla.
Un Lion de haut parentage,
En passant par un certain pré,
Rencontra Bergère à son gré :
Il la demande en mariage.
Le père aurait fort souhaité
Quelque gendre un peu moins terrible.
La donner lui semblait bien dur ;
La refuser n’était pas sûr ;
Même un refus eût fait, possible,
Qu’on eût vu quelque beau matin
Un mariage clandestin.
Car outre qu’en toute manière
La belle était pour les gens fiers,
Fille se coiffe volontiers
D’amoureux à longue crinière.
Le Père donc ouvertement
N’osant renvoyer notre amant,
Lui dit : Ma fille est délicate ;
Vos griffes la pourront blesser
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu’à chaque patte
On vous les rogne, et pour les dents
Qu’on vous les lime en même temps.
Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous plus délicieux ;
Car ma fille y répondra mieux,
Étant sans ces inquiétudes.
Le Lion consent à cela,
Tant son âme était aveuglée !
Sans dents ni griffes le voilà,
Comme place démantelée.
On lâche sur lui quelques chiens :
Il fit fort peu de résistance.
Amour, amour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu prudence.

Jean de La Fontaine

 

 

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9 commentaires sur “Le Lion amoureux”

  1. Akpe Marius

    dit :

    Sacré De La Fontaine

    « Amour Amour quand tu nous tiens… Adieu prudence »

    Beauté Lyrique, Fond bien corsé, percée contemporaine. On croirait un vin du moyen âge ouvert en ce siècle présent. Ça été une belle dégustation. Adieu lion amoureux.

  2. Marion

    dit :

    Je viens de l’entendre réciter par Fabrice Luchini dans un secret d’histoire consacré à Jean de la Fontaine ce lundi. Quel ravissement !

  3. Forget

    dit :

    Un total ravissement pour nos oreilles en ce siècle bien terne…

  4. bastin

    dit :

    La Fontaine me fait penser un peut à Alphonse Daudet

  5. Jacques Lemarchand

    dit :

    La marque du génie de La Fontaine ne se dément jamais !

  6. De Corail

    dit :

    Super poésie car il y a du vieux français

  7. fi

    dit :

    Trop chou… Un lion amoureux!

  8. Théodore

    dit :

    « La donner lui semblait bien dur
    La refuser n’était pas sur »

    Quelle formule fabuleuse pour définir le dilemme. Quel talent !!!

  9. catherine hissung

    dit :

    j adore

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