Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.
– Te souvient-il de notre extase ancienne ?
– Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
– Ton coeur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non.
– Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! – C’est possible.
– Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
– L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.
Paul Verlaine, Fêtes galantes
Lorsque les 80 ans se profilent, que l’on a connu deux amours fous, l’un de jeunesse brisé par ma bêtise, l’autre de mon âge mûr par une maladie implacable et que l’on voit de sa fenêtre le Parc de la Tête d’Or à Lyon, le poème de Verlaine prend tout son sens en hiver devant « le vieux parc solitaire et glacé ».
C’est grâce à Mademoiselle Taziaux, ma prof de français, que j’ai appris à aimer ce poème, au lycée, et je continue à l’aimer, ce poème. Tellement vrai. Il faut passer par là, apparemment…
J’ai aimé ce poème dans ma jeunesse et c’est aujourd’hui que j’en mesure l’immense beauté, ces sentiments amoureux disparus. Dans ce monde, je plains les jeunes, ou est la passion, l’amour fou d’André Breton disant à sa fille : je vous souhaite d’être follement aimée. La poésie m’aide à vivre
C’est déjà du Samuel Beckett en gestation
Je découvre très étonné que chaque ligne (chaque vers) de ce merveilleux poème doit être lue (volonté de Verlaine) en dix syllabes (pieds), ce qui impose de faites toutes les liaisons possibles (ou presque). D’ailleurs ne pas respecter cette volonté ne permet pas de le lire correctement avec une rythmique homogène. Ce n’est pas le seul poème que l’on récite sans trop faire attention à la rythmique (je pense à « partir c’est mourir un peu… ») mais peu importe : c’est sublime quand même dès l’instant que l’émotion est là… Et elle est bien là !
Bien triste et tellement vrai, mais dit de cette manière c’est beau !
Comme il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir
Comme c’est vrai… à en pleurer. On l’étudie à 20 ans, on comprend à 60 ans. Entre temps, les deux formes n’ont pas eu le bonheur ni la douceur d’évoquer le passé…
Rectificatif au commentaire de Peretz… ce n’est pas Jouvet qui recite les deux premiers vers :
« Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux formes ont tout à l’heure passé »
mais Marie Bel Ui s’adresse à Jouvet, qui lui répond « de quoi vous mêlez vous ! »
Dans Jane B. par Agnès V. Jane Birkin et Alain Souchon récitent ce poème.
Dans le film de Dominik Moll, « Dans la nuit du 12 », Marceau interprété par Bouli Lanners évoque les premiers vers de ce poème de Verlaine en faisant référence au meurtre d’une jeune fille dans un parc. Saisissant.
La première fois que j’ai entendu les premiers vers c’était dits par Jouvet dans « Carnet de bal » qui est un film nostalgique sur les premières amours.
Ce poème de Verlaine me touche depuis l’adolescence. J’avais dormi un soir brumeux un moment de spleen dans le square Viviani a Paris près de la Seine. Puis j’ai imaginé ce lieu dans la nouvelle de J.P. Sartre « Les jeux sont fait et c’est dans ce brouillard que les deux spectres obtiennent de Dieu, si ils trouvent le temps de s’aimer en bas, de retourner sur terre. Malheureusement les jeux sont fait. »
Quel dommage, quel temps perdu pour se venger l’un et l’autre de qui les a fait mourir. Une triste et jolie nouvelle.
Dans « Le voyage dans le passé » Stefan Zweig cite les vers 5 et 6 de ce poème : l’infinie tristesse, l’émotion déchirante des vers de Verlaine collent parfaitement à celles du roman de Zweig (qui est à la fois le récit d’un amour inaccessible et une dénonciation de l’Allemagne nazie).
C’est magnifique :'(
Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton cœur savourait.
(Théodore de Banville)
Il ne sert à rien de vouloir retrouver ses amours passées.