Maintenant, au gouffre du Bonheur !
Mais avant le glorieux naufrage
Il faut faire à cette mer en rage
Quelque sacrifice et quelque honneur.
Jettes-y, dans cette mer terrible,
Ouragan de calme, flot de paix,
Tes songes creux, tes rêves épais,
Et tous les défauts comme d’un crible.
(Car de gros vices tu n’en as plus.
Quant aux défauts, foule vénielle
Contaminante, ivraie et nielle,
Tu les as tous on ne peut pas plus.)
Jettes-y tes petites colères,
— Garde-les grandes pour les cas vrais, —
Les scrupules excessifs après,
— Les extrêmes, que tu les tolères !
Jette la moindre velléité
De concupiscence, quelle qu’elle
Soit, femmes ou vin ou gloire, ah ! quelle
Qu’elle soit, qu’importe en vérité !
Jette-moi tout ce luxe inutile
Sans soupir, au contraire, en chantant,
Jette sans peur, au contraire étant
Lors détesté d’un luxe inutile
Jette à l’eau ! Que légers nous dansions
En route pour l’entonnoir tragique
Que nul atlas ne cite ou n’indique,
Sur la mer des Résignations.
Paul Verlaine, Bonheur, 1891