Enfant blonde aux doux yeux, ô rose de Norvége,
Qu’un jour j’ai rencontrée aux bords du bleu Léman,
Cygne pur émigré de ton climat de neige !
Je t’ai vue & je t’aime ainsi qu’en un roman,
Je t’aime & suis heureux comme si quelque fée
Venait de me toucher avec un talisman.
Quand tu parus, naïve & d’or vivant coiffée,
J’ai senti qu’un espoir sublime & surhumain
Soudain m’enveloppait de sa chaude bouffée.
Voyageur, je devais partir le lendemain ;
Mais tu m’as pris mon coeur sans pouvoir me le rendre,
Alors que pour l’adieu je t’ai touché la main.
A ce dernier bonheur j’étais loin de m’attendre,
Et je me croyais mort à toutes les amours ;
Mais j’ai vu ton regard spirituel & tendre ;
Et tout m’a bien prouvé, dans les instants trop courts
Passés auprès de toi, blonde soeur d’Ophélie,
Que je pouvais aimer encore, & pour toujours.
Et je ne me dis pas que c’est une folie,
Que j’avais dix-sept ans le jour où tu naquis ;
Car le triste passé, je l’efface & l’oublie,
Et tu ne peux savoir à quel point c’est exquis !
François Coppée, L’Exilée (1877)