Mon Lou ma chérie Je t’envoie aujourd’hui la première pervenche
Ici dans la forêt on a organisé des luttes entre les hommes
Ils s’ennuient d’être tout seuls sans femme faut bien les amuser le dimanche
Depuis si longtemps qu’ils sont loin de tout ils savent à peine parler
Et parfois je suis tenté de leur montrer ton portrait pour que ces jeunes mâles
Réapprennent en voyant en voyant ta photo
Ce que c’est que la beauté
Mais cela c’est pour moi c’est pour moi seul
Moi seul ai droit de parler à ce portrait qui pâlit
À ce portrait qui s’efface
Je le regarde parfois longtemps une heure deux heures
Et je regarde aussi les 2 petits portraits miraculeux
Mon cœur
La bataille des aéros dure toujours
La nuit est venue
Quelle triste chanson font dans les nuits profondes
Les obus qui tournoient comme de petits mondes
M’aimes-tu donc mon cœur et mon âme bien née
Veut-elle du laurier dont ma tête est ornée
J’y joindrai bien aussi de ces beaux myrtes verts
Couronne des amants qui ne sont pas pervers
En attendant voici que le chêne me donne
La guerrière couronne
Et quand te reverrai-je ô Lou ma bien-aimée
Reverrai-je Paris et sa pâle lumière
Trembler les soirs de brume autour des réverbères
Reverrai-je Paris et les sourires sous les voilettes
Les petits pieds rapides des femmes inconnues
La tour de Saint-Germain-des-Prés
La fontaine du Luxembourg
Toi mon très cher amour
Je t’aime tout plein
tout gentiment
Mon joli ptit Lou
et je t’embrasse
Courmelois, le 18 avril 1915
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou