Je rêve de revoir mon ptit Lou pour toujours
Ô nuances des frondaisons pendants les matins lourds
Creux où joue le jour comme aux cassures d’un velours
Ô temps, souffre qu’en moi-même je retourne en arrière
Dans les commencements de cette longue guerre
Voici la mer et les palmiers
Et cette grande place où tu la vis naguère
Sous son grand canotier
Ô temps, reviendra-t-il le temps où nos deux âmes
Comme deux avions ennemis se rencontreront
Pour l’idéal combat où mon Lou tu réclames
La verge d’Aaron.
Puisque tu es, cœur éternel : La FEMME
Et que je te connais
Onde qui fuit, porte sur rien, insaisissable flamme
Ou gamin pied de nez
Ou bien, ô mon cher cœur, tu es cette musique
Qui monte nuit et jour du creux des bois profonds
Et tes bras blancs levés en geste prophétique
Annoncent ce que font
Et tout ce que feront les longs troupeaux des hommes
Vénus sous ton regard chargé de volupté
Te crier leur Désir, dire ce que nous sommes
Et ce qu’avons été
Puis s’en aller mourir par le matin livide
Afin que tes beaux yeux aient le droit de choisir
L’esclave le plus beau pour orner ton lit vide
Afin de t’assouvir.
Et sans aller mourir par le matin livide
Afin que ton caprice ait le droit de choisir
L’esclave encor plus beau pour orner le lit vide
Selon ton bon plaisir
Ô Lou, je te revois sur la grande-place à Nice
Dans le matin ambré…
Un obus vient mourir sur le canon factice
Que les boches ont repéré.
Courmelois, le 12 mai 1915
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou