Silence bombardé par les froides étoiles
Ô mon amour tacite et noir
Lamente-toi, puis soudain éclate en sanglots…
Là-bas, voici les blanches voiles
Des projecteurs jetés aux horizons d’espoir
Où la terre est creusée ainsi que sont les flots.
Adieu la nuit !
Tous les oiseaux du monde
Ont fait leur nid
Et chante à la ronde
Ptit Lou, je connais bien malgré tout ta douceur
En suivant le Printemps tous les jours sur la route
En me baignant le front dans cette ombreuse odeur
Qui me vient des jardins où je te revois toute.
Ainsi je gagnerai le grand cœur embaumé
De l’univers tiède et doux comme ta bouche
Et son tendre visage au bout de la mi-mai
S’offre à moi tout à coup langoureux sur sa couche
De pétales d’iris, de grappes de lilas.
Ptit Lou d’Amour je sens à mon cou tes bras roses :
Cette île de corail qui sort de tes yeux las
Et que sur l’océan de l’Amour tu disposes.
« Tu me demandes trop d’aimer sans être aimé
Tu me demande trop peut-être »…
Disait en souriant le doux soleil de mai
À la belle fenêtre
« Tu veux que chaque jour
Les longs rayons de mon amour
T’illuminent, mon cœur, ainsi qu’une caresse
Et toi ,toi que me donnes-tu ?»
« Turlututu
Dit la fenêtre
Écoute-moi soleil mon maître
Je ne suis belle que par toi
J’existe par ta lumière,
À part l’obscurité de la chambre, ma foi
Je ne possède rien de rien; pénètre-moi
Et tout à coup je deviens belle et je suis claire.»
Ainsi, ma tendre Lou, parlèrent le Soleil
Et la sombre fenêtre.
Soudain ce fut la nuit, Il vint à disparaître
Elle mourut aussi dans un obscur sommeil
Comme un Phénix Il renaquit toujours pareil
Et son amant La vit renaître…
À cette fable il ne faut pas
Chercher une morale…
J’entends du bruit : ce sont les rats qui pas à pas
Tournent autour de ma cabane en la nuit pâle
Tournent en rond…
Et je te baise
Sur ton beau sein fait d’une rose et d’une fraise
Et tu me baises sur le FRONT
Courmelois, le 17 mai 1915
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou