L’étoile nommée Lou est aussi belle aussi voluptueuse qu’une jolie fille
vicieuse
Elle est assise dans un météore agencé comme une automobile de luxe
Autour d’elle se tiennent les autres étoiles ses amies
Autour de l’automobile stellaire s’étend l’infini éthéré
Les Planètes rutilantes se montrent tour à tour comme des déesse
callipyges sur l’horizon
La voie Lactée monte comme une poussière derrière
Le météore automobile
Des guirlandes d’astres décorent l’infini
Le météore automobile luxueux et architectural
Comme un palais
est monté sur un bolide énorme qui tonne à travers les cieux
Qu’il sillonne d’éclairs
versicolores et durables comme de merveilleux feux de Bengale
Et doux comme des baisers éternels
Et des rayons de soleils ombragent
Ainsi de beaux arbres
printaniers
La route diaphane
Ô Lou, étoile nommée Lou la plus belle des étoiles
Ô reine des Étoiles
Ton royaume s’étend en plaines animées comme les oiseaux
En plaines mouvantes comme un régiment
De fantassins nomades
Étoile Lou, beau sein de neige rose
Petit nichon exquis de la douce nuit
Clitoris délectable de la brise embaumée d’Avant l’Aube
Les autres astres sont ridicules et sont tes bouffons
Ils jouent pour toi des comédies
Fantasmagoriques
Ils font les fous pour que l’Étoile nommée Lou ne s’embête pas
Et parfois les nuits sont mortelles
L’étoile nommée Lou
Traverse des prairies d’asphodèles
Et des fantômes infidèles
Pleuvent dans les abîmes autour d’elle
Mais cette nuit est si belle!…
Je ne vois que l’étoile que j’aime.
Elle est la splendeur du firmament
Et je ne vois qu’elle
Elle est un petit trou charmant aux fesses des nuages
Elle est l’étoile des Étoiles
Elle est l’étoile d’Amour
Ô nuit ô nuit dure toujours ainsi
Mais voici
Les gerbes des obus en déroute
Qui me voile
Mon étoile
Je baisse les yeux vers les ténèbres de ma forêt
Et mon intelligence amoureuse
Devient oiseau
Pour aller revoir plus haut plus haut
Plus haut toujours
Ce petit cœur bleuâtre
Qu’est mon étoile nommée Lou
Ma douce étoile qui fait vibrer au ciel
Des mots d’amour exquis
Qui viennent en lents airs dolents qui correspondent nuance à nuance
à chaque chose que je pense.
Étoile Lou fais-moi monter vers toi
Prends-moi dans ta splendeur
Que je sois ébloui et presque épouvanté
Que l’espace bleu se creuse à l’infini
Que l’horizon disparaisse
Que tous les astres grandissent
Et pour finir fais-moi pénétrer dans ton paradis
Que j’éprouve une sensation
De bien-être inouï
Que j’absorbe par toute ma chair, toute mon âme
Ta lumière exquise
Ô mon paradis !
Courmelois, le 3 juin 1915
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou