Plus de fleurs mais d’étranges signes
Gesticulant dans les nuits bleues
Dans une adoration suprême, mon beau ptit Lou, que tout mon être
pareil aux nuages bas de juillet s’incline devant ton souvenir
Il est là comme une tête de plâtre, blanche éperdument auprès d’un
anneau d’or
Dans le fond s’éloignent les vœux qui se retournent quelquefois
Entends jouer cette musique toujours pareille tout le jour
Ma solitude splénétique qu’éclaire seul le lointain
Et puissant projecteur de mon amour
J’entends la grave voix de la grosse artillerie boche
Devant moi dans la direction des boyaux
Il y a un cimetière où l’on a semé quarante-six mille soldats
Quelles semailles dont il faut attendre sans peur la moisson ?
C’est devant ce site désolé s’il en fut
Que tandis que j’écris ma lettre appuyant mon papier sur une plaque
de fibro ciment
Je regarde aussi un portrait en grand chapeau
Et quelques-uns de mes compagnons ont vu ton portrait
Et pensant bien que je te connaissais
Ils ont demandé :
« Qui donc est-elle ?»
Et je n’ai pas su que leur répondre
Car je me suis aperçu brusquement
Qu’encore aujourd’hui je ne te connaissais pas bien.
Et toi dans ta photo profonde comme la lumière
Tu souris toujours
Secteur des Hurlus, le 14 juillet 1915
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou