Un gentil toutou vit un jour un brin de gui
Tombé d’un chêne
Il allait lever la patte dessus, sans gêne,
Quand sa maîtresse qui
L’observe, l’en empêche et d’un air alangui
Ramasse le gui
« Gui, jappe le toutou, pour toi c’est une veine !
Qu’est-ce qui donc te la valut ?»
« Vous êtes, cher toutou, fidèle et résolu
Et c’est pourquoi votre maîtresse
Vous aime avec tendresse,
Lui répond
La plante des Druides,
Pour la tendresse à vous le pompon
Mais moi je suis l’amour à grandes guides
Je suis le bonheur;
La plus rare des fleurs, ô toutou, mon meilleur
Compagnon, puisque, plante, je n’ai pas de fleur !…
Vous êtes l’idéal et je porte bonheur… »
Et leur
Maîtresse
Étendue avec paresse
Effeuillant indifféremment de belles fleurs
Aux mille couleurs
Aux suaves odeurs
Feint de ne pas entendre
Le toutou jaser avec le gui. Leurs
Propos la font sourire, et nos rêveurs
Imaginent de comparer leurs deux bonheurs
Cependant qu’Elle les regarde d’un air tendre,
Puis se levant soudain auprès d’eux vient s’étendre.
Le toutou, pour sa part, eut bien plus (à tout prendre)
De baisers que le gui
Qui tout alangui
Entre deux jolis seins ne peut rien entreprendre
Mais se contente bien, ma foi,
De son trône digne d’un roi
Il jouit des baisers, les voyant prendre
Et les voyant rendre
Sans rien prétendre.
Morale
Il ne faut pas chercher à comprendre.
Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou