Du Volga sur leurs bidets grêles
Les durs Baskirs vont arriver.
Avril est la saison des grêles,
Et les balles vont le prouver.
Les neiges ont fini leurs fontes,
Les champs sont verts d’épis nouveaux ;
Mettons les pistolets aux fontes
Et les harnais d’or aux chevaux.
Que le plus vieux chef du Caucase
Bourre, en présence des aînés,
Avec le vélin d’un ukase
Les longs fusils damasquinés.
Qu’on ait le cheval qui se cabre
Sous les fourrures d’Astracan,
Et qu’on ceigne son plus grand sabre,
Son sabre de caïmacan.
Laissons les granges et les forges.
Que les fusils de nos aïeux
Frappent l’écho des vieilles gorges
De leur pétillement joyeux.
Et vous, prouvez, fières épouses,
Que celles-là que nous aimons
Aussi bien que nous sont jalouses
De la neige vierge des monts.
Adieu, femmes, qui serez veuves ;
Venez nous tendre l’étrier ;
Et puis, si les cartouches neuves
Nous manquent, au lieu de prier,
Au lieu de filer et de coudre,
Pâles, le blanc linceul des morts,
Au marchand turc pour de la poudre
Vendez votre âme et votre corps.
François Coppée, Poèmes divers, 1869