Déjà le soir de sa vapeur bleuâtre
Enveloppoit les champs silencieux ;
Par le nuage étoient voilés les cieux :
Je m’avançois vers la pierre grisâtre.
Du haut d’un mont une onde rugissant
S’élançoit : sous de larges sycomores,
Dans ce désert d’un calme menaçant,
Rouloient des flots agités et sonores.
Le noir torrent, redoublant de vigueur,
Entroit fougueux dans la forêt obscure
De ces sapins, au port plein de langueur,
Qui, négligés comme dans la douleur,
Laissent tomber leurr longue chevelure,
De branche en branche errant à l’aventure.
Se regardant dans un silence affreux,
Des rochers nus s’élevoient, ténébreux ;
Leur front aride et leurs cimes sauvages
Voyoient glisser et fumer les nuages :
Leurs longs sommets, en prisme partagés,
Étoient des eaux et des mousses rongés.
Des liserons, d’humides capillaires,
Couvroient les flancs de ces monts solitaires ;
Plus tristement des lierres encor
Se suspendoient aux rocs inaccessibles ;
Et contrasté, teint de couleurs paisibles,
Le jonc, couvert de ses papillons d’or,
Rioit au vent sur des sites terribles.
Mais tout s’efface, et surpris de la nuit.
Couché parmi des bruyères laineuses.
Sur le courant des ondes orageuses
Je vais pencher mon front chargé d’ennui.
François-René de Chateaubriand, Tableaux de la nature, 1784-1790