Ma mère, que je l’aime en ce portrait ancien,
Peint aux jours glorieux qu’elle était jeune fille,
Le front couleur de lys et le regard qui brille
Comme un éblouissant miroir vénitien !
Ma mère que voici n’est plus du tout la même ;
Les rides ont creusé le beau marbre frontal ;
Elle a perdu l’éclat du temps sentimental
Où son hymen chanta comme un rose poème.
Aujourd’hui je compare, et j’en suis triste aussi,
Ce front nimbé de joie et ce front de souci,
Soleil d’or, brouillard dense au couchant des années.
Mais, mystère du coeur qui ne peut s’éclairer !
Comment puis-je sourire à ces lèvres fanées !
Au portrait qui sourit, comment puis-je pleurer !
Emile Nelligan
Déjà à 10 ans, je récitais ce poème parce que dans mon âme d’enfant, il représentait un hymne à ma mère et je me disais que seul le premier paragraphe lui était dédié tout en appréhendant les suivants dans l’avenir. Aujourd’hui, rendue à plus de 60 ans, et ma mère qui en a 90, il reflète ce qui me réjouissait et m’inquiétait à la fois : il y a la beauté de la vie, mais aussi la tristesse infinie des souvenirs…
C’est très beau.