Quelqu’une des voix
Toujours angélique
– Il s’agit de moi, –
Vertement s’explique :
Ces mille questions
Qui se ramifient
N’amènent, au fond,
Qu’ivresse et folie ;
Reconnais ce tour
Si gai, si facile :
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !
Puis elle chante. Ô
Si gai, si facile,
Et visible à l’oeil nu…
– Je chante avec elle, –
Reconnais ce tour
Si gai, si facile,
Ce n’est qu’onde, flore,
Et c’est ta famille !… etc…
Et puis une voix
– Est-elle angélique ! –
Il s’agit de moi,
Vertement s’explique ;
Et chante à l’instant
En soeur des haleines :
D’un ton Allemand,
Mais ardente et pleine :
Le monde est vicieux ;
Si cela t’étonne !
Vis et laisse au feu
L’obscure infortune.
Ô ! joli château !
Que ta vie est claire !
De quel Age es-tu,
Nature princière
De notre grand frère ! etc…
Je chante aussi, moi :
Multiples soeurs ! voix
Pas du tout publiques !
Environnez-moi
De gloire pudique… etc…
Arthur Rimbaud, Derniers vers
Musique pure ou pure musique. Au choix. Etc…
It’s so beautiful!
Je découvre ce poème et je sais seulement qu’il est extrait du recueil intitulé « Dernier vers », de 1872, écrit par un jeune homme de 18 ans… Je note d’emblée que ce sont des vers de cinq pieds, rythme au nombre impair que Verlaine appréciait. (« De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l’Impair »). Par leur brièveté même, ils sont un moyen de suggérer un profond ressenti de ce qui vient de l’intérieur, sans la nécessité d’en développer toute la substance avec les alexandrins aux douze pieds. Qu’exprime donc Rimbaud, par ce choix rythmique dans ce poème intitulé Âge d’or ? Je le ressens comme un chant intérieur, un chant que l’on se chante à soi-même, à demi voix, en sourdine ou en marchant seul dans la nature. Est-il grave ou badin ?
À première vue, ce texte ressemble aux paroles d’une chanson avec même le « etc…» qui donne; à certains moments; l’impression de quelque chose de connu, quelque chose dont le poète est familier, qu’il peut redire spontanément et sans trop développer. J’irai jusqu’à dire que le rythme, les sonorités, la répétition de certains vers ou couplets, donnent une cadence très chantante avec un coté simple et candide comme les comptines d’enfants mais dont le contenu ici est loin d’être insignifiant…
Il est question d’une voix que l’on perçoit en soi même. On pense à la voix de ce que les poètes appellent leur muse, personnification de l’inspiration Et on ne s’étonne pas qu’un poète à l’imagination aussi fertile que celle d’Arthur Rimbaud perçoive en lui plusieurs voix. De toutes ces voix-sœurs, se détache cette voix « angélique », c’est-à-dire une inspiration pure et crédible qui, d’après ce qu’elle formule, a l’habitude d’attirer l’attention sur des choses graves et qu’il vaut mieux éviter. Elle parle comme une conseillère une sorte d’ange gardien tout intérieur… En effet on voit qu’au début du poème cette voix «vertement s’explique », vertement c’est-à-dire avec rigueur et sans ambages. Elle attire l’attention de son auditeur sur le fait que se poser mille questions compliquées, comme on coupe les cheveux en quatre, ne conduit à rien. Cela n’amène « qu’ivresse et folie ». Peut-être, cette voix de conscience, pointe-t-elle les démons qui agitent déjà l’âme du jeune poète…
À la troisième strophe, on peut se demander ce qu’est « ce tour si gai, si facile ». Que veut dire par là, la voix qui sermonne le poète ? Personnellement, je pense que cette muse tutélaire, qui est en fait la conscience critique de Rimbaud lui-même, l’invite à abandonner ses vaines spéculations, à « lâcher prise » et à orienter son esprit hyperactif vers de plus sympathiques horizons, comme y invitent les émotions, les pensées et les aspirations plus riantes qui ne sont « qu’onde, flore ». L’évocation aquatique et florale dessine le cadre de pensées simples, réconfortantes, épanouissantes. Le vers énigmatique : « Et c’est ta famille ! » rappelle au jeune homme, que sa nature profonde le pousserait à rechercher la grâce et l’idéal, trait commun aux voix-sœurs qui l’inspirent ici. Or, la vie mouvementée de Rimbaud montre qu’il n’écoutera pas ces voix de sagesse dont il connait pourtant la portée.
Le quatrième couplet répète « si gai, si facile », comme une sorte d’incitation dont on souligne l’importance bien que ce soit dit sur un mode léger. Elle concerne cette tendance profonde à la sérénité : « Et visible à l’œil nu… » c’est à dire évidente pour le jeune poète qui sait très bien que le bonheur est, comme l’Âge d’or, (titre du poème), un état de paix intérieure, d’harmonie, d’aisance. Il se montre apparemment séduit par les admonestations de la voix et il semble consentir à ses exhortations puisqu’il affirme « Je chante avec elle». Un vrai duo va dans le même sens. C’est aussi le sens de la cinquième strophe, reprise exacte de la troisième parce justement cette fois-ci, il ne se contente pas d’entendre la voix de la muse, il chante avec elle le couplet qui parle de cette invite au bonheur simple « si gai, si facile » dont il semble se convaincre.
De la même façon, la sixième strophe reprend la première. C’est toujours une voix angélique, mais angélique ne veut pas forcément dire douce ou naïve et mièvre car c’est toujours « vertement » qu’elle s’adresse au poète. Elle insiste, donc elle répète ses mises en garde. Rimbaud sait, dans son for intérieur où tant de voix parfois contradictoires s’élèvent, que la partie n’est pas gagnée quant à ses choix de vie. Même s’il ne le dit pas ouvertement, son âme est partagée entre ce à quoi il aspire, traduit par cette voix angélique, et son attirance pour des voies plus obscures. D’ailleurs dans la septième strophe le ton de la voix monte, comme un reproche.
L’expression « sœur des haleines », s’éclaire du fait que l’haleine est le souffle qui permet de chanter et de monter en puissance sans perdre sa conviction. Et c’est bien d’un ton affermi, que cette voix « ardente et pleine » de surcroît, s’adresse à son auditeur intime, comme si elle voulait le persuader qu’un certain nombre de réalités sont néfastes et qu’il ferait bien de s’en détourner. : « Le monde est vicieux », ce n’est pas le monde idéal dont peuvent rêver les poètes, c’est pourquoi elle veut le dissuader de s’intéresser à tout ce qui, fatalement, y conduit : le hasard, l’improvisation brouillonne et insouciante de la vie de bohème qui ne mène nulle part sauf au malheur, « l’obscure infortune ».
Suite à cette mise en garde assez vigoureuse, l’avant-dernière strophe évoque l’image symbolique du château : « Ô ! Joli château ! », symbole de ce que serait une existence fondée sur des valeurs de force et de beauté, une construction de soi-même, enviable, solide et « claire », évidente donc. Et la question : « De quel âge es-tu ? », ne va pas dans le sens de : « quel âge as-tu ? ». Question qui attendrait une datation, une référence historique. Ce serait plutôt de quel âge mental et psychologique, voire mythique, ce château serait la représentation. La réponse est dans le titre du poème : Âge d’or. On sait que le mythe grec de l’Âge d’or renvoie à une époque fabuleuse durant laquelle les êtres humains auraient vécu dans une parfaite harmonie, en paix et heureux. Il s’agit donc bien de l’évocation d’un état intérieur idéal associé à une « nature princière », attribuée par la voix à « notre grand frère ! ».
Et qui est ce grand frère de nature princière ? Faut-il chercher la réponse dans les improbables annales d’un édifice que Rimbaud aurait vu, et fouiller dans la généalogie de ses aristocratiques propriétaires ? Peine perdue, il est plus vraisemblable que ce « grand frère » de « nature princière » à qui s’adresse la voix au nom des autres voix, puisqu’elle dit « notre » grand frère, ne peut être que Rimbaud lui-même. Non pas que le jeune poète ici se magnifie d’être l’heureux détenteur de ces voix multiples qui l’inspirent et qu’il en tire vanité, mais parce qu’il en est simplement à la fois la source et l’heureux bénéficiaire. D’ailleurs, comme dans la quatrième strophe où il écrit « je chante avec elle », dans cette dernière strophe: il affirme « je chante aussi, moi », soulignant ainsi qu’il s’agit d’un dialogue ou d’un chœur tout intérieur, quasi secret, qui ne cherche pas les trompettes de la renommée mais une « gloire pudique », c’est à dire la profonde satisfaction qu’il y a à recevoir de si lumineuses inspirations poétiques…
Bien sûr, c’est un magnifique poème qui fait ressortir la riche capacité inventive d’Arthur Rimbaud à l’âge où l’on remet tout en question, même si on ne trouve pas toutes les réponses à ses interrogations. Il est plaisant de psalmodier ces strophes chantantes au rythme léger, mais je soupçonne que, sous cette forme anodine, se dessine le drame à peine voilé du génial jeune poète qui, bien que lucide, restera tiraillé entre vie de bohème et idéal. Avide d’expériences nouvelles, attiré sans doute par le coté sombre de l’existence, il préférera prendre une orientation de vie moins angélique que ce que lui conseille ici la voix de son égérie intérieure…
J’ai trouvé ce poème grâce à un personnage d’animé. Le nom de l’animé est B: The Beginning, le nom du personnage est Izanami. Elle cite ce poème, et ça m’a beaucoup plu car je trouve ce personnage intéressant. Avoir trouvé ce poème est donc très bien pour moi car il m’intéressait beaucoup et je ne suis pas déçue car le poème est tout simplement magnifique ! Je ne regrette pas d’avoir recopié les citations du personnage pour les mettre dans ma barre de recherche, j’espèrais trouver le poème d’origine.
J’adore les arbres verts mais surtout vous lire Rynbo.
Je l’ai entendu une fois dans un manga et j’ai adoré. Maintenant que je l’ai lu en entier, je le comprend c’est tellement profond. Et je ne cesse de le relire encore et encore.
Ooooooh !!! C’est magnifique… J’ai écouté une fois un extrait du poème et je n’ai eu de cesse de chercher la suite… Et j’ai pas été déçu j’ai adoré…..
Très intéressant ! Finalement, c’est très abordable, moi qui craignais d’être submergé par un vocabulaire hors de ma portée. Merci M. Rimbaud pour cette belle démonstration toute en finesse. La poésie détient un réservoir intarissable, et j’y compte bien y laisser quelques gouttes…
Je découvre ce très beau poème le 31mars 2020
Je le découvre, Merci Arthur. J’ai tant à apprendre de toi.
Nostalgie infinie
Magnifique, j’aime.
Ce poème est daté du mois de juin 1872.
Que dois-je comprendre par les « …ect… » ??
Mais ? C’est quoi la date du poème ? Merci
Quelqu’un pourrait me dire à quel genre poétique ce poème appartient-il? Merci d’avance.
Un melenge de simplicité et de maturité.
bien
magnifique
Toujours un plaisir de relire ce poème.
j’adore ce poéme