Diégo

Sabine Sicaud

Son nom est de là-bas, comme sa race.
L’œil vif, le pas dansant, les cheveux noirs,
C’est un petit cheval des sierras, qui, le soir,
Longtemps, regarde vers le sud, humant l’espace.

Il livre toute sa crinière au vent qui passe
Et, près de son oreille, on cherche le pompon
D’un œillet rouge. Sur son front,
Ses poils frisent, pareils à de la laine.

Rien en lui de ces chevaux minces qui s’entraînent
Le long d’un champ jalonné de poteaux ;
Ni rien du lourd cheval né dans les plaines,
Ces plaines grasses et luisantes de canaux
Où des chalands s’en vont avec un bruit de chaînes.

Il ignore le turf, et les charrois et les labours,
Celui dont le pied sûr comme celui des chèvres,
Suivit là-haut les sentiers bleus, dans les genièvres.

Sur ses naseaux, larges ouverts, un frisson court.
Avec d’autres poulains échevelés, il vint, un jour,
De la montagne aux herbes odorantes.
Poussé par des bergers en capes de brigands
Il vint, petit cheval hirsute à crinière flottante…

Il a gardé ses yeux surpris, des yeux d’enfant
Qui fixent loin, comme à travers les choses…
Et parfois on y voit luire un éclair, sans cause.
On dit alors : « Vient-il de Corse ? » Mais il a
D’autres regards aussi, pleins de tendresse.
La jument du vieux cheik a de ces regards-là
Pour le maître en burnous qu’elle aime. « Une caresse
Fait l’antilope et le cheval de la maison. »

Pas un tournant d’allée, un morceau de gazon,
Une porte d’ici qu’il ne connaisse…

Et les portes peuvent s’ouvrir imprudemment
Le petit cheval noir y secoue, un moment,
Sa tête qui dit : « Non, pourquoi fuirais-je ? »
Il hennit comme on rit, à mi-voix, en arpège ;
Et sa queue, ainsi qu’un éventail,
S’agite avec le bruit de feuillages qu’on traîne.

Il connaît chaque route au-delà du portail,
Et peut-être sait-il où chaque route mène.

Se prêtant au harnais, par jeu, derrière lui
Il a tiré parfois cette chose qui bouge –
Une voiture – et fait tinter le collier rouge
Dont les grelots ont le son de clarines la nuit.

Parfois, comme pris de folie,
On le voit bondissant pour rien, pour un peu d’eau,
Un jet de l’arroseur ou trois gouttes de pluie
Un papier tournoyant, et ses petits sabots
Allument le pavé. Parfois, dans le pré, libre,
Il se met à ruer d’un air farouche, exprès !
Il galope en zigzags, ou, pliant les jarrets,
Se tient debout, nous défiant, en équilibre…

Quand on le mène boire, il saisit, par un coin,
Nos tabliers, nos manches, ce qu’il peut, et nous dirige,
Lui, le petit cheval sans bride. Un brin de foin
Pend de sa lèvre brune – ou quelque tige
Arrachée au vieux mur – et son œil songe, au loin…

Voici longtemps, longtemps, bien des années,
Qu’il est de la maison, le petit cheval noir
Dont le poil, fil à fil, en bouclettes fanées,
S’argente sur le front. Il se plaît à nous voir,
À nous porter, à nous conduire. Il nous appelle
Et nous taquine et reste jeune et reste gai…
Pourtant,
Quand le vent vient du sud, battant des ailes
Comme un aigle de la Sierra, quand le printemps
A ce parfum de romarin qui nous étonne,
Et tous les soirs, et tous les soirs d’été, d’automne,
Qu’attend-il, mon petit cheval aux yeux d’enfant,
De quoi se souvient-il qui nous étonne,
Quand le vent vient du sud ?

Sabine Sicaud, Poème d’enfant, 1926

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