La petite panthère noire aux yeux dorés
Nous apporte son fils… Dans la maison amie,
Elle déménage et le cache à son gré –
Tiède boule innocente et qu’on trouve endormie
Dans l’armoire ou la boîte à fil, ou sur un livre…
Bébé nègre, ses petits poings serrés,
En un Paradis vague il semble vivre,
Un Paradis où l’on tette et l’on dort.
Ses yeux bleus qui, plus tard, seront deux sequins d’or,
Tantôt s’ouvrent, ainsi que deux fleurs étonnées,
Tantôt ne laissent voir qu’une fente, cernée
De minuscules cils qui seront noirs. Tout noir,
Depuis son petit jusqu’au bout de la queue,
– Sauf l’imprévu de ces deux yeux en gouttes bleues –
On le prend pour un essuie-plumes, ou, le soir,
Pour un des pelotons de la corbeille…
Grave, assise en presse-papier,
Sa mère le surveille et nous surveille…
Et le joujou de velours ras et noir, copié
Sur le plus grand jouet de peluche, en sourdine,
Déjà, tire l’on ne sait d’où, quand il lui plaît,
Un ronron d’avion qui part ou de rouet…
Tourne-broche, machine à coudre, lame fine
D’un Tom Pouce qui se ferait scieur de long,
Quelque chose bourdonne et l’on cherche un frelon
Dans ce coin sombre, où rêve un fauve en miniature.
Elle – sa mère – nous regarde. Sa figure,
Qui trouve le moyen d’évoquer à la fois
Le Soudan noir, le Siam jaune et le mystère
De ce Nil vert qui reflétait les sphinx de pierre,
Sa figure, soudain, se crispe… Deux plis droits
Rétrécissent le front et deux plis élargissent
La lèvre retroussée… Est-ce un rire muet ?
Une ride chagrine ? L’on ne sait.
Hors de leur gaine, en pointes lisses,
Dix griffes, un instant, se montrent… Qu’y a-t-il ?
Mais rien… Deux rouets, maintenant, tournent ensemble,
Et c’est comme le grincement léger d’un fil
Reliant deux petits moteurs, dans l’air qui tremble.
Sabine Sicaud, Poème d’enfant, 1926