Je ne te connais pas, rose qui n’est pas rose,
Ni couleur de soleil, ni de rouge velours,
Ni d’un blanc de petite nonne, et qui me cause
Une anxiété vague, étrange rose.
Je ne te connais pas, je te sais quelque part,
Chez le fleuriste en vogue – à l’abri d’une serre –
Ou dans un parc trop beau comme avivé de fards
Et de sources factices – quelque part
Où l’abeille elle-même hésite, un peu craintive.
Jardiniers trop savants, que n’ont-ils fait déjà !
« L’églantier qui tendait vers moi ses branches vives,
Qu’en ont-ils fait ? » dit l’abeille craintive.
Qu’en ont-ils fait ? » dit la cétoine au bonnet vert.
Et l’Amour nu, sur sa colonne, en pénitence,
Dit : « Qu’ont-ils fait de ce tendre univers
où librement des fleurs jonchaient les chemins verts ? »
Qu’ont-ils fait, qu’ont-ils fait de toi rose des haies ?
Trop somptueuse ou trop pâle soudain,
Chaque printemps déjà tu nous semblais moins vraie
dans la miraculeuse fête des jardins…
Et te voici du bleu convenu des turquoises,
du bleu des hortensias bleus, des lotus bleus,
des ciels trop bleus sur des porcelaines chinoises…
Te voici bleue, ô rose bleue ! et fausse un peu
Comme des yeux qui mentiraient, de beaux yeux lisses,
larges et fiers, baignés d’azur… et juin se glisse
dans le petit cœur frais des roses d’autrefois !
Et moi je songe au bleu de la sauge des bois,
aux bouquets ronds que brodaient, en couronne,
d’adorables myosotis, un brin fanés ;
aux bluets des vastes champs blonds à moissonner ;
aux pervenches d’avril, aux clochettes d’automne ;
au muscari, qu’aigrettent des saphirs ;
au bleu d’insecte bleu des bourraches velues ;
aux gentianes dans les herbes chevelues…
Je songe à tous les yeux qui s’ouvrent pour offrir
tous les tons bleus de l’eau, de l’air, des pierreries :
au bleu de l’aconit, à la douceur fleurie
du lin candide, au regard clair du romarin…
à ce reflet de mer qu’ont les yeux des marins
et les houppettes des chardons le long des côtes…
Je songe à la chanson qui se chante à voix haute
ou si discrètement dans le creux des fossés…
Je songe à vous, je songe à vous, ô chanson bleue,
qui chantez en de pauvres cœurs et les bercez !
Je vous revois, jardinets de banlieue
avec ces visages de fleurs qui font penser
à des enfants dans une chambre ; je vous vois,
fenêtre à l’ombre où l’on cultive une jacinthe…
Et vous, champs de Harlem, brumes où tinte
le carillon d’autres jacinthes ; bleu de toits
drapés d’une glycine ; poudre fine
d’un épi de lavande au soleil des collines,
matins bleus, pays bleus, je vous reconnais bien,
d’ici, rien qu’aux parfums du vent qui passe…
… Et d’autres, mieux que moi, comme l’on se souvient,
se souviendront d’étés anciens, d’odeurs vivaces.
Mais quelqu’un dira-t-il, ô rose, infante bleue,
Dame étrangère qui surprend, même là-bas,
dans ces parcs où des paons royaux traînent leur queue,
dira-t-il qu’il te connaissait, Princesse bleue ?
Même poète, osera-t-il
Franchir la grille ou marchander la gerbe ?
tant de sentiers sont bleus, depuis avril,
d’un bleu tout simple… Osera-t-il ?
Et, même osant, que savoir d’une rose
qui n’est plus cette rose avec l’âme d’hier ?
– Le temps des dieux et des métamorphoses,
s’il revenait, pourtant, dame en bleu qui fut rose ?
Les Contes de Perrault ?… J’ai tant rêvé,
sais-tu, de baguettes magiques, de breuvages
transformant, pour la perdre ou la sauver,
la Belle dont un Prince avait rêvé…
J’ai tant rêvé, comme le Prince, que, peut-être,
sous ton déguisement, je te reconnaîtrais ?
Va, ce n’est pas ta faute… et l’on peut mettre
Une robe d’azur sans trop mentir, peut-être…
De l’orgueil ? On te croit de l’orgueil ? Je dirais :
« Ne devinez-vous pas qu’être une rose bleue
c’est être seule et triste ?… » Et le secret
de ton odeur perdue aussi, je le dirais,
pour qu’on t’accueille avec douceur, ma Rose…
Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, 1926