Joujou de bois garni, le petit train se hisse
Par des chemins à lui, dont on s’effraye un peu,
Vers le sommet qui semble fuir, lilas et bleu…
L’air vif sent l’arnica, le baume et la réglisse.
Joujou de bois garni, le petit train se hisse.
Les moutons étonnés le regardent venir…
On les dirait pourtant – lui de bois, eux, de laine, –
Pris au même bazar, dans les boîtes d’étrennes.
Un rayon de soleil s’amuse à revernir
Chaque fois, le joujou qu’ils regardent venir.
Dans le bas, s’assombrit la gorge romantique
Où dort, tapi, le toit de bruns contrebandiers.
Au loin, des pics ont l’air en neige d’amandiers ;
Et, sur toute la côte où danse l’Atlantique,
C’est le galop de grands nuages romantiques.
Pays Basques et sierras… l’Amérique, au-delà
De ce voile d’argent, pointillé de navires.
Chenille à cinq anneaux, le train-joujou s’étire
Vers la cime où le bleu s’estompe de lilas…
Vois-tu cette eau d’argent – l’Amérique au-delà, –
Vois-tu ce vert des prés, ce jaune de la dune,
Ce brun des pignadas, ces blancheurs de villas,
Saint-Jean-de-Luz, Biarritz et Bayonne, et cela
Qui règne ici déjà, par moitié, sur la Rhune,1
Cette couleur d’Espagne où se chauffe la dune ?
Entre deux rocs géants, Don Quichotte apparaît.
Sens-tu, sens-tu le vent qui vous glace et vous, brûle,
– Qui vous brûle à midi, vous glace au crépuscule –
Acharné sur ta cape, arrachant nos bérets ?
Sur l’aile des moulins, Don Quichotte apparaît.
La clochette du train sonne comme une folle…
C’est l’heure… Descendons. Le petit train s’en va.
Là-haut, resté debout, moderne Quebranta,
Mi sur terre française et mi sur l’espagnole,
Le marchand de biscuits – A Dios, señoritas ! –
Regarde gravement le joujou qui s’en va
Avec son esquila tintant comme une folle.
Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, 1926