C’est un matin… non pas un matin de Corot
Avec des arbres et des nymphes – sur la terre,
C’est un coin tout petit, entre des murs de pierres
Pas bien hauts…
C’est un matin dans le petit jardin du presbytère.
C’est un matin d’automne :
Vigne rouge, dahlias jaunes
Petits doigts tortillés de chrysanthèmes roux ;
Un tournesol montrant sa face de roi nègre
Sous un vieux diadème de plumes raides, un peu maigres…
Arrosoir vert, près du géranium en pot.
C’est un matin, sans nymphes de Corot.1
Le curé dort, la maison dort, le chemin dort,
Pendant que, doucement, tombent des pièces d’or…
C’est un matin d’automne…
L’aube, qui s’est levée à pas de loup, d’abord frissonne
En peignoir rose… puis se met à rire dans le ciel,
Et tout devient rose comme elle, et rit comme elle,
Et ce sont des clartés roses et blondes telles
Que le petit jardin doré semble irréel.
Réveillée en sursaut, dans le clocher, la cloche sonne :
« Vite ! Vite ! Levez-vous, bonnes gens
C’est le matin ! C’est le matin d’automne !
Je sonne ! Il fait beau temps !
Entends, vieille servante au bonnet blanc, du presbytère.
C’est l’heure, lève-toi… Lève-toi, vieux curé ;
Vois les oiseaux, vois la lumière !
Prends ta soutane et ton bonnet carré,
Ouvre ta porte et va… l’heure te presse !
L’allée a tous les tons fauves des vieux missels…
Va vite, ne t’attarde pas, sous le grand ciel,
Au tout petit jardin plein d’allégresse…
Couleur de feu, couleur de fleurs, couleur de miel,
Il est trop beau ! tu le prendrais pour un autel.
Tu manquerais la messe… »
Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, 1926
La poésie de cette fillette est tissée de perles de rosée, d’instants magiques, d’entrevues improbables qu’elle nous laisse apercevoir. Douée, surdouée d’une plume magique, cette grande poète nous transporte sur des chemins imaginaires dont elle a le secret.
Sublime Sabine Sicaud trop tôt disparue …!