Il pleut. Il pleut à petit bruit
Sur le vieux chemin de traverse…
– Quel Dieu, pour nous punir te verse,
Ô campagne, le jour, la nuit,
Cette pluie à si menu bruit ?
– C’est comme un chagrin qui nous suit
Et goutte à goutte nous transperce,
Un gris sans fin qui porte en lui
Tant de lassitude et d’ennui
Que le cœur tout entier s’y noie.
– Un linceul d’eau grise tournoie
Sur les vieux chemins qui se noient…
– Ô luisantes feuilles de soie
Qui dans le soleil et la joie
Brodaient les vergers lourds de fruits !
Jardinet rose autour d’un puits…
– Se peut-il que l’hiver s’emploie
À gâcher tous les coins de joie ?
– On va, songeant aux nids détruits.
La corde pleure sur le puits,
Les arbres pleurent dans la plaine…
– Comme dans le cœur de Verlaine,
Il pleut, il pleure à petit bruit.
C’est comme un chagrin qui nous suit…
Et peut-être aussi qui nous mène,
– Vers où, vers quoi, si tôt, si tard ?
Au glas persistant des gouttières
Un château se meurt quelque part !
– Des chaumes s’effondrent, épars…
– Et des yeux gris, dans le brouillard,
(Est-ce une toile de Carrière ?)
Regardent au loin, quelque part,
Vers la ville aux jaunes lumières…
Sabine Sicaud, Poèmes d’enfant, 1926