Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.
J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
Ainsi la prairie
A l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?
Oisive jeunesse
A tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les coeurs s’éprennent !
Arthur Rimbaud, Derniers vers
Pour parler d’un poème, lisons le poème…
Poème musical, la « Chanson de la plus haute tour » a tout le charme et l’étrangeté d’une chanson médiévale, avec son refrain, son rythme rapide (pentasyllabique) et ses strophes de six vers (sizains).
Comme chez Nerval et sa « dame à sa haute fenêtre », ou Apollinaire dans certains de ses poèmes, le poète revient à un âge d’or de la poésie où « haute tour » pouvait rimer avec « troubadour » et « amour » (de la dame recluse), où claustration pouvait être le signe de l’engagement d’une vie à la recherche de la pierre philosophale ou de l’amour divin… et de fait lorsque Rimbaud plus tard, en 1873, se rira cruellement de sa tentative alchimique dans la « Saison en enfer » au prise avec son démon intérieur (la difficulté qu’il a à « étreindre le réel »), il aura cette phrase terrible « La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe »…
Mais revenons au poème des « Derniers vers » au moment même de son écriture, au printemps 1872 (la saison de la composition n’est pas anodine), sans l’illusion rétrospective, fût-elle celle de Rimbaud lui-même : le poète de 1872 y confesse alors sur un rythme léger et apparemment insouciant (lyrique dirait-on), celui d’une chanson médiévale, l’échec de sa « retraite » poétique adolescente (comme il y a une retraite monastique) à la recherche des « plus hautes joies » (le « Joi » occitan de l’amour courtois ?) qu’il définit comme une « soif malsaine qui lui obscurcit les veines » (serait-ce une allusion à la « muse verte » ou aux drogues prises pour précipiter la venue de cette « joie » ?), se comparant à une « prairie livrée à l’oubli » et « envahie de cent sales mouches », ne sachant à quel saint se vouer et n’ayant pour ultime refuge que la Vierge Marie, la Consolatrice par excellence !
Autrement dit Rimbaud chanterait ici son échec : le prendrait-il « à la légère » ?
C’est là que l’explication purement biographique d’un poème apparait dans toute sa limite et son absurdité : le poète Rimbaud n’est pas l’adolescent Arthur, de même que le narrateur Marcel n’est jamais l’homme Proust (ce n’est pas moi qui le dis)…
L’échec de la tentative alchimique est l’occasion au contraire de composer ici un chef d’œuvre : cette « Chanson de la plus haute tour »…
Le poète ne parle jamais de lui, il part de lui, de sa vie, de son échec, et le transcende dans et par le poème, en fait le combustible de sa propre passion : « il a tant fait patience (i.e. : il a tant enduré) qu’à jamais il a oublié craintes et souffrances » dans ces vers aériens, hors du temps, ou plutôt d’un autre temps, celui de la Poésie comme seul temps réel, celui que le poète visionnaire, en avance sur son temps justement, appelle de tous ses vœux dans un cri déchirant, et qu’il atteint sans doute l’espace de deux vers intemporels qui nous illuminent à jamais comme l’éclair : « Ah ! que le temps vienne où les cœurs s’éprennent ! »… mais le temps n’est pas encore venu, et les siens ne l’ont pas reconnu…
Rimbaud a douté de la réussite de sa tentative alchimique par la suite dans la « Saison en enfer » -il s’en est même moqué-, soucieux de revenir à une poésie plus « objective », de revenir au « réel », d’étreindre « la réalité rugueuse », enfin paysan rendu à la terre : il a oublié que c’est en perdant sa vie au tout début de son aventure poétique qu’il a retrouvé La vie, que la voie visionnaire ne saurait s’opposer à la voie réaliste, celle plus descriptive du retour aux choses à laquelle il s’attachera davantage dans les « Illuminations », qu’elle a au contraire ouvert cette voie, l’a permise…
Mais ce doute nous étonne-t-il ? Remet-il en question quoi que ce soit du génie polymorphe de Rimbaud toujours en mouvement, poète marcheur, éclaireur d’une poétique qui doit être en avant de l’action ? Le Christ lui-même n’a-t-il pas douté sur la croix, ne s’est-il pas cru abandonné de Dieu au moment de mourir, et n’en est-il pas resté pour autant toujours Dieu ?
Poème plein de sensibilité, Rimbaud est vraiment mon poète préféré
J’en oubliais aussi les rires des Espagnoles et les Italiennes des journaux illustrés dont il s’aidait… Mais aussi, il y eut la serveuse aux yeux pétillant et aux tétons énormes, du « cabaret vert » de Charleroi, ville dont je suis… Je pense que ces figures l’ont aidé à sortir du « regard bleu qui ment », et qui culpabilise…, celui de sa mère, mais aussi le sien, propre regard turquoise océanique, à devoir dès lors « traverser »…, jusqu’à l’Afrique ! Il y laissera une jambe, terrible « castration symbolique »… pour revenir mourir en France, auprès de sa mère.
Probablement, Alain…!
Il lui faudra, certes, la traversée du « bouillon marin » des « bleuités » et « azurs vertes » de son « bateau ivre », ainsi que son exil en Afrique, sauvage, où il perdra une jambe…, pour y arriver finalement! Mais y est-il vraiment arrivé… ?
Il y aura eu, du moins, et outre Paul Verlaine, l’oeil fol’ et brun de la fille des ouvriers d’à côté… et les saveurs de sa peau qu’il aura remporté dans sa chambre ! C’est déjà ça…
Pol
N’est ce pas l’expression de son incapacité à dépasser son oedipe ?
Pour mieux comprendre ce texte de Rimbaud qui se situe dans son recueil « Derniers vers » de 1872, lisez attentivement son texte : « Les poètes de 7 ans », écrit au moins un an plus tôt, en mai 1871. Il y décrit clairement toutes les difficultés vécues durant son enfance, renfermée, et notamment les importantes difficultés oedipiennes qu’il a rencontrées avec sa mère, dont il décrit le « bleu regard, – qui ment! », et qui le surprend, enfant, « à des pitiés immondes »… Sa colère y est clairement explicite, vis-à-vis de son enfance, en partie victime « d’âcres hypocrisies », mais aussi largement habitée par un combat intérieur dans lequel sa « muse » et son talent excessivement précoce lui faisaient « pressentir violemment la voile! », et non le voile, comme le questionne religieusement notre interlocuteur baptisé « Dieu » sur cette conversation qui date du 30 janvier 2020, mais bien évidemment là, à propos de ce poème-ci : « Chanson de la plus haute tour »… Mais il s’agit néanmoins du même Arthur, un an après, dans une même colère, peut-être quelque peu plus dépressive, et probablement non sans une certaine culpabilité rémanente, sous le souvenir du « bleu regard » de sa mère…, fût il associé au bleu ciel de la Vierge Marie… ? Pol
Il faut tomber amoureux et ne pas être excessivement délicat puisque l’on peut y perdre la vie. Carpe Diem.
Léo Ferré chante magnifiquement ce poème…
Rimbaud à 18 ans était un sale gosse, poète génial mais un sale gosse. C’est ainsi que le percevait ses compagnons poètes parisiens. Alors ce poème, un éclair de lucidité ?
Ce poème à mon avis parle aussi de (ou fait penser à) la vie religieuse/monastique, le retrait de la vie amoureuse qu’il suscite, suivi d’une mélancolie, puis d’un sang mauvais et d’une certaine pourriture intérieure causée par manque d’amour, ainsi que de la perversion (« est-ce que l’on prie la vierge Marie). Ce texte peut donc être vu comme particulièrement critique envers la religion… Le réduire à Verlaine n’explique pas les références à la religion: Marie, Le bourdon (le nom qu’on donne aux cloches), âme, Notre-Dame, cieux…)
La jeunesse traîne dans l’immobilisme du temps son désespoir et sa tristesse, accrochée à ses rêves elle navigue sur tout sans jamais s’engager avec la délicatesse de ceux qui n’osent pas encore. Que vienne avec l’amour la confiance et le désir pour que tout s’illumine, explose et donne envie de chevaucher la vie comme les chevalier, jadis leur destrier. Si Rimbaud avait vraiment aimé Verlaine, un poète peut il aimer quelqu’un d’autre que lui même, à désirer si ardemment un cœur à prendre et avec lui la vie qu’il a tant désirée et n’a jamais saisie.
Génial
Est-ce que ce poème parle de la nature ?
Lorsqu’il écrit ce poème, Rimbaud n’a que 18 ans. Il évoque ces amours ratées avec Verlaine… Le titre « chanson de la plus haute tour » évoque les cours d’amour des troubadours dans les châteaux du Moyen Age et aussi l’isolement de l’auteur loin de Verlaine.
Je pense qu’il montre sa tristesse face a une vie où il n’a rien fait et que cela est maintenant trop tard .
Oisive jeunesse à tout asservie, par délicatesse j’ai perdu ma vie
oui, tout est dit !
ah, que le temps vienne où les coeurs s’éprennent.
Oui
Je ne comprends pas ce texte, il me serait fortement utile de me l’expliquer.