Vallée du Gavaudun
Ne me parlez ni de la tour,
Ni des belles ruines rousses,
Ni de cette vivante housse
De feuillages en demi-jour.
La gorge est trop fraîche et trop verte ;
La rivière, comme un serpent,
S’y tord, à peine découverte
Sous trop d’herbe où reste en suspens
Le mystère des forêts vierges.
Ne me parlez ni de l’auberge,
Ni des écrevisses qu’on prend
Dans la mousse et les capillaires.
Je n’ai vu, de ce coin de terre,
Ni la paix du soir transparent,
Ni celle des crêtes désertes.
Mais, barrant le ciel, deux rochers
Tout à coup si nus, écorchés,
Avec plusieurs bouches ouvertes !
Vers ces bouches noires, clamant
On ne sait quelle horreur ancienne,
Savez-vous si, furtivement,
De pauvres âmes ne reviennent ?
Où sont-ils, où sont-ils, mon Dieu,
Ces parias vêtus de rouge
Qui, là-haut, guettaient les soirs bleus
Par les trous béants de ce bouge ?
Grotte des Lépreux, seuil maudit
Au bord de la falaise ocreuse…
Il faudrait qu’on ne m’eût pas dit
Quel frisson traversait jadis
Ce décor de feuilles heureuses…
Sabine Sicaud, Les poèmes de Sabine Sicaud, 1958 (Recueil posthume)