Mon livre (et je ne suis sur ton aise envieux),
Tu t’en iras sans moi voir la Cour de mon Prince.
Hé, chétif que je suis, combien en gré je prinsse
Qu’un heur pareil au tien fût permis à mes yeux ?
Là si quelqu’un vers toi se montre gracieux,
Souhaite-lui qu’il vive heureux en sa province :
Mais si quelque malin obliquement te pince,
Souhaite-lui tes pleurs et mon mal ennuyeux.
Souhaite-lui encor qu’il fasse un long voyage,
Et bien qu’il ait de vue éloigné son ménage,
Que son coeur, où qu’il voise, y soit toujours présent :
Souhaite qu’il vieillisse en longue servitude,
Qu’il n’éprouve à la fin que toute ingratitude,
Et qu’on mange son bien pendant qu’il est absent.
Joachim Du Bellay
Le grand Joachim est pour moi notre poète majeur du 16ème. Un bijou trop peu connu, sa complainte, déçu, voire dégoutté de Rome sans barbe et sans argent, qui s’en retourne en France…
Pour insister : croyez vous vraiment que Du Bellay emploie la moitié d’un si beau poème à « tacler » ceux-là dont il vient de dire dans « à Monsieur d’Avanson » : Du médisant j’aurais peu de soucy ». Il y a truchement, car c’est bien de lui-même qu’il parle.
Azmarco: c’est bien ce que j’entends : Du Bellay, le Tendre, ne souhaite d’autre mal au malin, que d’ouvrir les yeux sur la blessure qu’il raille, pour qu’en connaissance lui même devienne pleinement humain (empathie christique). Car l’amour procédé de cela qu’on se rend apte de souffrir en l’autre.
« Et qu’on mange son bien pendant qu’il est absent », ca c’est envoyé.
@LeTybreSeul la signification est différente, Du Bellay parle toujours ici du « malin » qui « obliquement te pince » et telle une damnation, il lui souhaite de souffrir loin de chez soi (Souhaite-lui encor qu’il fasse un long voyage / Et bien qu’il ait de vue éloigné son ménage). Même que son coeur y reste la bas pour souffrir d’avantage (Que son coeur, où qu’il voise, y soit toujours présent)
Ce poème est trop long pour moi et mon camarade de classe.
Comme Schubert à ses mélodies, Du Bellay se rechauffe à ses vers, ils sont l’ami (et l’amie) seul fidèle et seul présent. Exil, solitude, tragédies peintes modestement mais qu’on ne s’y trompe: absent au monde et aux autres, « son coeur, où qu’il voise, y [ est ] toujours présent ».
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