Satan

Louise Ackermann

Nous voilà donc encore une fois en présence,
Lui le tyran divin, moi le vieux révolté.
Or je suis la Justice, il n’est que la Puissance ;
A qui va, de nous deux, rester l’Humanité ?
Ah ! tu comptais sans moi, Divinité funeste,
Lorsque tu façonnais le premier couple humain,
Et que dans ton Éden, sous ton regard céleste,
Tu l’enfermas jadis au sortir de ta main.
Je n’eus qu’à le voir là, languissant et stupide,
Comme un simple animal errer et végéter,
Pour concevoir soudain dans mon âme intrépide
L’audacieux dessein de te le disputer.
Quoi ! je l’aurais laissée, au sein de la nature,
Sans espoir à jamais s’engourdir en ce lieu ?
Je l’aimais trop déjà, la faible créature,
Et je ne pouvais pas l’abandonner à Dieu.
Contre ta volonté, c’est moi qui l’ai fait naître,
Le désir de savoir en cet être ébauché ;
Puisque pour s’achever, pour penser, pour connaître,
Il fallait qu’il péchât, eh bien ! il a péché.
Il le prit de ma main, ce fruit de délivrance,
Qu’il n’eût osé tout seul ni cueillir ni goûter :
Sortir du fond obscur d’une éroite ignorance,
Ce n’était point déchoir, non, non ! c’était monter.
Le premier pas est fait, l’ascension commence ;
Ton Paradis, tu peux le fermer à ton gré ;
Quand tu l’eusses rouvert en un jour de clémence,
Le noble fugitif n’y fût jamais rentré.
Ah ! plutôt le désert, plutôt la roche humide,
Que ce jardin de fleurs et d’azur couronné !
C’en est fait pour toujours du pauvre Adam timide ;
Voici qu’un nouvel être a surgi : l’Homme est né !
L’Homme, mon œuvre, à moi, car j’y mis tout moi-même :
Il ne saurait tromper mes vœux ni mon dessein.
Défiant ton courroux, par un effort suprême
J’éveillai la raison qui dormait en son sein.
Cet éclair faible encor, cette lueur première
Que deviendra le jour, c’est de moi qu’il ta tient.
Nous avons tous les deux créé notre lumière,
Oui, mais mon Fiat lux l’emporte sur le tien !
Il a du premier coup levé bien d’autres voiles
Que ceux du vieux chaos où se jouait ta main.
Toi, tu n’as que ton ciel pour semer tes étoiles ;
Pour lancer mon soleil, moi, j’ai l’esprit humain !

(fragment)

Louise Ackermann, Poésies Philosophiques

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8 commentaires sur “Satan”

  1. gauthier

    dit :

    Le poème est une liste d’avis structurant le sens que l’auteure s’applique à donner au drame édénique. Le non croyant constatera point final, le croyant décidera au niveau de sa connaissance. Hormis l’attrait littéraire je tiens l’interprétation de la poétesse pour une formulation qui porte en elle sa caducité parmi une foule d’autres.

  2. gauthier

    dit :

    Ce qui devrait gêner l’auteure dans le balancement de ses assertions est que sa mise en compétition des valeurs ne s’inscrit que dans un temps court… face à l’éternité « ça » laisse la place à pas mal de possibilités que bien des événements sans même un mot redresse son architecture philosophique… sans compter la puissance concomitantes d’œuvres obligées pour imposer qu’on ne se contente pas de théoriser… lesquelles manquent et jette un interdit sur ce qui ne devient que spéculations… à lui seul le Principe-Vie c’est autre chose.

  3. Oncle Bob

    dit :

    Satan n’est pas notre ennemi.

  4. DAVE

    dit :

    Satan est là pour éprouver l’amour de la vie qu’est Dieu. Satan est le plus grand Archange ἀρχάγγελος. Il aime tant Dieu qu’il ne veut que les plus pieux. Il est jaloux, comme je le suis de ceux qui par procuration s’octroie le pardon. Ce poème n’est pas une révélation mais des images de la souffrance. Ce poème est la consécration de l’incompréhension et de surcroît de sa propre dénégation.

  5. Dorian

    dit :

    la date c’est 1871

  6. Odhaviing Akavir

    dit :

    Ce poème est sublime. Je trouve qu’il retranscrit parfaitement la haine que Satan peut eprouver a l’égard de Dieu. C’est magnifique.

  7. jmf

    dit :

    J’ai envie de penser que c’est 1843

  8. Clémence

    dit :

    Bonjours,

    J’aime beaucoup le poème.
    Mais serait-il possible de savoir quand il a été fait?

    Merci d’avance

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