L’Examen de Minuit

Charles Baudelaire

La pendule, sonnant minuit,
Ironiquement nous engage
À nous rappeler quel usage
Nous fîmes du jour qui s’enfuit :
– Aujourd’hui, date fatidique,
Vendredi, treize, nous avons,
Malgré tout ce que nous savons,
Mené le train d’un hérétique.

Nous avons blasphémé Jésus,
Des Dieux le plus incontestable !
Comme un parasite à la table
De quelque monstrueux Crésus,
Nous avons, pour plaire à la brute,
Digne vassale des Démons,
Insulté ce que nous aimons
Et flatté ce qui nous rebute ;

Contristé, servile bourreau,
Le faible qu’à tort on méprise ;
Salué l’énorme bêtise,
La Bêtise au front de taureau ;
Baisé la stupide Matière
Avec grande dévotion,
Et de la putréfaction
Béni la blafarde lumière.

Enfin, nous avons, pour noyer
Le vertige dans le délire,
Nous, prêtre orgueilleux de la Lyre,
Dont la gloire est de déployer
L’ivresse des choses funèbres,
Bu sans soif et mangé sans faim !…
– Vite soufflons la lampe, afin
De nous cacher dans les ténèbres !

Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

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1 commentaires sur “L’Examen de Minuit”

  1. Hyacinthe

    dit :

    Déplorablement occultés par le tintamarre des écrans anti-sociaux, ces poèmes sont des merveilles qui aident à vivre nos jours et nos joies.
    Signalons, à propos du jour qui finit, et dans le genre de prose poétique (ce sont des nouvelles riches de sens et d’une écriture élaborée) « Chaque jour au matin » (M. Levy, Editions infimes). Le titre original était « Aussi élevée ou aussi médiocre que nous »… bien plus beau mais l’éditeur a renaclé). D’ailleurs le titre officiel est un abrégé d’une phrase du livre « Et toi, chaque jour au matin, baigne ton visage, pour ôter les traces de limon ». Quand je vous disais que c’est poétique…

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