J’aime… C’en est assez pour vous connaître, ô villes,
Avec vos cris et vos couchants,
Pour vous connaître, amère et tiède odeur des îles,
Austère bonne odeur des champs.
J’aime… Je te défie, ô ciel, d’être plus vaste
Que mon regard qui te contient ;
Je suis reine en n’ayant que ma tunique chaste
Et mes pleurs pour unique bien.
Mes bras ont la douceur de la neuve pelouse
Après les averses d’été,
Et je baisse les yeux tant mon âme est jalouse
De s’isoler dans sa beauté.
Le rayon du blé mûr s’étend sur ma poitrine ;
Et l’ombre des grands arbres bleus,
Et les reflets des eaux, du vent, de la colline
Se mélangent dans mes cheveux.
Il semble que je vais, grave, au-devant d’une arche…
Une femme, à la fin du jour,
S’est retournée un peu pour voir celle qui marche
Enchaînée avec son amour.
Le faon m’a regardée en bondissant de joie,
J’ai vu ses jeunes flancs frémir,
Et le feu, le rubis, le soleil et la soie
Flambent autour de mon désir.
J’aime… J’en ai le front ceint de quatre couronnes :
La première a le poids de l’or,
L’autre a l’éclat du soir, l’autre est en fleurs d’automnes
Et l’autre est celle de la mort.
Hélène Picard, L’Instant Éternel, 1907