I
Au centre de la ville la tête prise dans le vide d’une place
Ne sachant pas ce qui t’arrête ô toi plus forte qu’une statue
Tu donnes à la solitude un premier gage
Mais c’est pour mieux la renier
T’es-tu déjà prise par la main
As-tu déjà touché tes mains
Elles sont petites et douces
Ce sont les mains de toutes les femmes
Et les mains des hommes leur vont comme un gant
Les mains touchent aux mêmes choses
Écoute-toi parler tu parles pour les autres
Et si tu te réponds ce sont les autres qui t’entendent
Sous le soleil au haut du ciel qui te délivre de ton ombre
Tu prends la place de chacun et ta réalité est infinie
Multiple tes yeux divers et confondus
Font fleurir les miroirs
Les couvrent de rosée de givre de pollen
Les miroirs spontanés où les aubes voyagent
Où les horizons s’associent
Le creux de ton corps cueille des avalanches
Car tu bois au soleil
Tu dissous le rythme majeur
Tu le redonnes au monde
Tu enveloppes l’homme.
Toujours en train de rire
Mon petit feu charnel
Toujours prête à chanter
Ma double lèvre en flammes
Les chemins tendres que trace ton sang clair
Joignent les créatures
C’est de la mousse qui recouvre le désert
Sans que la nuit jamais puisse y laisser d’emprintes ni d’ornières
Belle à dormir partout à rêver rencontrée à chaque instant d’air pur
Aussi bien sur la terre que parmi les fruits des bras des jambes de la tête
Belle à désirs renouvelés tout est nouveau tout est futur
Mains qui s’étreignent ne pèsent rien
Entre des yeux qui se regardent la lumière déborde
L’écho le plus lointain rebondit entre nous
Tranquille sève nue
Nous passons à travers nos semblables
Sans nous perdre
Sur cette place absurde tu n’es pas plus seule
Qu’une feuille dans un arbre qu’un oiseau dans les airs
Qu’un trésor délivré.
II
Ou bien rire ensemble dans les rues
Chaque pas plus léger plus rapide
Nous sommes deux à ne plus compter sur la sagesse
Avoue le ciel n’est pas sérieux
Ce matin n’est qu’un jeu sur ta bouche de joie
Le soleil se prend dans sa toile
Nous conduisons l’eau pure et toute perfection
Vers l’été diluvien
Sur une mer qui a la forme et la couleur de ton corps
Ravie de ses tempêtes qui lui font robe neuve
Capricieuse et chaude
Changeante comme moi
Ô mes raisons le loir en a plus de dormir
Que moi d’en découvrir de valables à la vie
À moins d’aimer
En passe de devenir caresses
Tes rires et tes gestes règlent mon allure
Poliraient les pavés
Et je ris avec toi et je te crois toute seule
Tout le temps d’une rue qui n’en finit pas.
Paul Eluard, Facile, 1935