C’est ma mère, monsieur, avec ma fiancée
Elles passent là-bas, l’une à l’autre pressée.
La jeune m’a giflé, la vieille m’a fessé.
Je vous jure pourtant que je les aimais bien;
Mais, constamment, j’avais le besoin bénin
D’exiger trop d’amour: ses larmes et son sein.
Je vous jure, monsieur, qu’elles m’ont bien aimé.
Ça n’est certes pas leur faute à toutes les deux
Si sans cesse je voulais être plus heureux.
C’est ma mère, monsieur, avec ma fiancée.
Pour moi, elles ne sont qu’un même être et leurs charmes
Sont égaux ayant fait verser les mêmes larmes:
Ma mère a pleuré sur moi, qui sanglotais
Pour l’autre, refusant d’être à moi tout à fait;
Je ne sais pas lequel de nous trois fut blessé. . .
C’est ma mère, monsieur, avec ma fiancée.
Paul Eluard, Premiers Poèmes, 1813-1818